François Gabrielli est aux commandes de la chambre des métiers de Corse-du-Sud et de la chambre régionale. Deux ans et demi après son élection, il dresse un bilan de ses actions avec, en toile de fond, le combat contre la grande distribution, le développement de la filière artisanale et la formation.
Vous êtes à la tête de la Chambre Régionale des Métiers depuis deux ans et demi. Un bilan de cette période ?
Un bilan positif pour toute mon équipe. Pour les métiers de bouche, on a gagné deux fois à Paris, on a obtenu la fermeture dominicale des grandes surfaces. L’image de l’artisanat est claire et saine, l’emploi est reconnu, ce qui récompense le travail de tous les services de la Chambre. Nous montrons, une fois encore, et de surcroît en cette période de crise, que nous créons des emplois et nous les préservons, on est sur une bonne voie. Enfin, concernant la formation des salariés et des hommes, nous sommes très bons. On a formé, cette année, 1.000 personnes, à la Chambre des Métiers de Corse-du-Sud (artisans et salariés confondus). En octobre dernier, nous avons amené 32 coiffeurs et coiffeuses au salon international de Londres, 24 artisans au grand salon de bouche, à Lyon et nous irons à Marrakech avec des esthéticiennes afin qu’elles puissent parfaire leur formation. On travaille énormément, en étroite collaboration avec la CTC.
Le combat que vous menez depuis des mois contre le projet de zone commerciale sur la commune de Sarrola Carcopino semble avoir connu un heureux dénouement. Que cela vous inspire-t-il ?
Le projet a été refusé et c’est une immense satisfaction tant à la Chambre des Métiers qu’à l’Union Professionnelle et Artisanale à la Ville d’Ajaccio ainsi qu’à la CAPA. La décision paraît juste dans la mesure où ce projet, sur une superficie de 45.000 m2, était irréaliste. Il aurait, sans doute, tué, non seulement le commerce de proximité du centre-ville d’Ajaccio mais aussi celui de l’ensemble du département. C’est pourquoi, depuis son élection, la position de la Chambre des Métiers a toujours été claire sur ce point. Nous faisons, du combat contre l’implantation des grandes surfaces, une priorité.
Les défenseurs du projet de zone commerciale à Sarrola, argumentaient, pourtant, qu’il serait très important sur le plan économique et surtout générateur d’emplois.
On ne peut pas empêcher les promoteurs de défendre leur projet. Cependant, concernant les emplois, j’estime qu’il s’agissait, pour la plupart, d’emplois précaires, comme dans l’ensemble des centres commerciaux. Est-ce cela que nous voulons pour nos enfants ? D’autre part, la plupart des boutiques prévues étaient des enseignes venues du continent, telles que celles que nous avons déjà dans le secteur. Ensuite, au niveau du temps de travail, on était très loin des 35 heures. Enfin, concernant les prix, la Corse et plus particulièrement la région ajaccienne, est largement au-dessus de la moyenne nationale pour ce qui est du ratio nombre d’habitants/nombre de grandes surfaces. Or, nul n’ignore que les prix flambent dans la région ajaccienne et que l’implantation d’une telle zone n’allait pas, pour autant, baisser les prix.
Le combat que vous menez, depuis vingt ans, contre la grande distribution, est-il, aujourd’hui, viable dans une société de plus en plus uniformisée où elle domine ?
En l’espace de vingt ans, nous avons, tout de même, remporté quelques « batailles » et fait retarder, voire reculer beaucoup de projets. On a, également, obtenu, la fermeture dominicale, au terme de négociations difficiles. Aujourd’hui, les grandes surfaces sont fermées le dimanche, ce qui n’était pas le cas l’hiver dernier. C’est un bien pour les artisans, et tout le monde le ressent. Par ailleurs, un fait nouveau est intervenu puisque, depuis quelques temps déjà, nous ne sommes plus seuls à mener ce combat. Beaucoup d’élus de tous bords soutiennent, de plus en plus, l’artisanat et le commerce de proximité, notamment la ville d’Ajaccio et c’est un atout non négligeable.
Peut-on faire cohabiter commerce de proximité et grande distribution ?
On n’a jamais dit qu’il ne fallait pas de grandes surfaces ! Nous sommes dans une période de crise et elle frappe la Corse de plein fouet. On doit parvenir à équilibrer la situation par l’égalité, la correction et le partage. Mais, actuellement, nous sommes nettement au-dessus de la moyenne nationale, il faut donc, un temps de repos pour que tout le monde retrouve ses marques. Le centre-ville d’Ajaccio, comme tous ceux de France, souffre ; un grand parking va, prochainement voir le jour. Après divers aménagements nécessaires, on sera, peut-être, à égalité et l’on pourra, peut-être, débattre sur l’éventualité d’une moyenne surface dans le rural…à condition qu’elle ne s’étale pas sur 45.000m2 !
Comment peut-on, aujourd’hui, défendre le commerce de proximité et l’artisanat ?
C’est beaucoup plus facile pour l’artisanat puisque l’on se base sur une charte une qualité, un savoir-faire, la disponibilité. Trois critères que les gens ressentent très bien. Après une période très difficile, l’artisanat est, aujourd’hui, reconnu. C’est la première entreprise corse et c’est la première créatrice d’emplois qui, eux, ne sont pas précaires. On a le soutien des élus, à nous de travailler avec eux afin d’accélérer ce processus évolutive. Nous avons créé la charte des bouchers, nous allons, désormais, travailler sur les boulangers puis le bâtiment avec un gros projet qui pourrait déboucher.
Où en êtes-vous sur le statut fiscal des auto-entrepreneurs ?
C’est un fléau et un combat que l’on mène depuis très longtemps. C’est, à mon sens, une responsabilité qui incombe au gouvernement précédent et aux présidents de la Chambre Nationale de Paris. Aujourd’hui, la Corse, comme toutes les régions qui travaillent beaucoup, au niveau du rural, est fortement touchée. Ce statut n’est pas à égalité avec les statuts de l’artisanat et c’est, surtout, une légalisation du travail au noir. Plus de 60% des auto-entrepreneurs, ne font pas de déclaration fiscale. C’est une concurrence déloyale, et la ministre l’a, du reste, elle-même, souligné.
Quelle solution préconisez-vous ?
Une motion a été votée lors de la dernière A.G. à Ajaccio. Actuellement, l’auto-entrepreneur doit s’inscrire à la chambre des métiers et il a droit à une formation. Avec le soutien des autres élus, nous avons décidé, s’il s’agit d’une concurrence déloyale, de supprimer les formations. Nous avons donc rédigé une motion dans ce sens, envoyée à Monsieur Patrick Strzoda, préfet de Corse, nous attendons sa réponse. Désormais, lors de nos formations professionnelles, on refusera les auto-entrepreneurs.
Le maintien de l’artisanat en milieu rural figurait parmi vos priorités lors de votre élection, il y a deux ans et demi. Où en êtes-vous, à ce jour ?
Les choses ont beaucoup bougé. Nous travaillons étroitement, à ce niveau, avec la CTC où l’écoute est très bonne. Concrètement, les artisans qui travaillent dans le rural, font de la proximité et parfois même du social, il faut les aider. Nous planchons, avec la CTC sur l’attribution d’une aide spécifique aux artisans du monde rural, qui devrait, si tout va bien, aboutir d’ici l’hiver prochain.
Au lendemain de votre élection, la situation restait particulièrement tendue avec l’UPA de Haute-Corse. S’est-elle améliorée depuis ?
C’est une question quelque peu gênante…mais je vais y répondre ! Je n’ai pas oublié ce qu’ont essayé de faire les élus de Haute-Corse, à l’époque. Je reste ferme sur mes positions, à savoir qu’ils n’ont pas joué franc-jeu. Aujourd’hui, cette équipe est réélue et composée d’anciens et de nouveaux membres. On s’est rencontrés lors de l’AG de la Chambre Régionale, dans la semaine. Il est important de débattre et de clarifier la situation. Je suis en place, en tant que président de la Chambre Régionale jusqu’en juin prochain. Ensuite, conformément à ce qui est prévu, je dois céder la place ce que je ferai volontiers. Mais il n’est pas question de poursuivre si nous sommes en désaccord. Il faut définir une politique régionale qui doit être claire, sincère et surtout mise en pratique.
Quelles seront vos missions jusqu’au terme de votre mandat ?
Notre objectif consiste à poursuivre le travail engagé dans la formation, travailler afin de parvenir à modifier le statut fiscal des auto-entrepreneurs, et surtout que l’écoute des élus politiques, qui va dans le sens du développement de l’artisanat, reste aussi forte. Afin que, au terme de ce mandat, nous présentions un bilan convenable et soyons fiers de ce que nous avons fait.
Interview réalisée par Joseph Albertini