François Alfonsi est élu au parlement européen, depuis 2009, sur la liste « Les Verts/Alliance libre européenne ». Il représente la voix de la Corse et défend, entre autres, la langue et la culture qui depuis un mois, avec la non ratification de la charte des langues minoritaires, suscite de vives inquiétudes dans l’île. Le député européen, par ailleurs, maire d’Osani, dresse le bilan de sa mandature, explique sa mission au sein du parlement européen et les perspectives qu’elle peut ouvrir pour la Corse.
Quelles ont été vos principales actions depuis votre élection au parlement européen, en 2009 ?
Durant ce mandat, j’ai fourni un travail parlementaire soutenu au sein du groupe Verts/ALE, comme coordinateur de la Commission REGI (développement régional), et comme membre actif de deux autres commissions, celles du budget et de la culture. En tant que coordinateur, j’ai animé le groupe de travail qui a défini les propositions des écologistes et des régionalistes européens pour la politique de développement régional. Cela a été notamment le cas pour la création des « régions de transition », que j’ai avancée lors d’une intervention en séance plénière, en octobre 2010, avant que la Commission européenne ne reprenne cette proposition qui est aujourd’hui actée dans les futurs programmes européens. J’ai également porté la position du groupe dans les débats sur le budget européen et le cadre financier pluriannuel 2014-2020. Sur le plan politique, il a été mis en avant trois thématiques bien identifiées, avec des résultats tangibles.
L’espace méditerranéen : J’ai fait voter un rapport d’initiative pour promouvoir une stratégie macro-régionale en Méditerranée, rapport qui a entraîné l’adhésion de nombreuses régions concernées avec le soutien d’organismes-clefs comme la CRPM (Conférence des Régions Périphériques Maritimes). Avec José Bové, j’ai fait passer des amendements déterminants pour l’agriculture et l’élevage méditerranéens dans le cadre de la négociation de la PAC. Avec Michèle Rivasi, nous avons pris une part active dans la mobilisation contre les forages pétroliers en eau profonde au large du Var et de la Corse, et activé de nombreux contacts sur le dossier énergétique corse.
La diversité culturelle et linguistique, à travers la participation, puis la co-présidence en deuxième partie du mandat, de l’intergroupe des cultures traditionnelles et des langues régionales qui a permis de valoriser les combats locaux en Corse bien sûr, mais aussi en Occitanie, en Bretagne, en Catalogne, au Pays Basque et en Alsace. J’ai été désigné comme rapporteur au sein de la Commission Culture d’un rapport d’initiative sur « la diversité culturelle et les langues menacées de disparition », rapport qui sera proposé au vote du Parlement en juillet prochain. Toutes ces initiatives ont été accompagnées de retombées nombreuses parmi les réseaux concernés d’acteurs culturels et politiques qui ont été régulièrement invités à différents événements pour les informer, recueillir leurs avis et propositions.
Le soutien aux combats des peuples pour la reconnaissance de leurs droits politiques : C’est particulièrement le cas pour le Pays Basque, au sein du Friendship basque créé lors de la mandature précédente par Gérard Onesta dont j’ai pris la suite. C’est aussi le cas hors d’Europe, en Palestine (action des députés ALE en CisJordanie), en soutien aux combats des minorités berbères/imazighen dans les différents pays d’Afrique du Nord, ou encore, en tant que rapporteur pour avis de la Commission Budget, pour obtenir le rejet de l’accord de pêche UE-Maroc entaché par la question du Sahara Occidental.
La Corse est-elle entendue à Bruxelles ?
Il y a 271 régions en Europe, et chacune souhaite s’y faire entendre. Bien sûr celles qui comme la Bavière ou la Catalogne ont des moyens humains considérables sur place sont plus actives qu’une petite région comme la nôtre. Cependant la Corse a une visibilité certaine, en raison de son insularité, et aussi en raison de sa relation agitée avec l’Etat français, dont le jacobinisme est bien souvent vécu par l’Europe comme une énigme, voire un repli identitaire. Un député européen corse, c’est un moyen important pour se faire entendre. Dans la grande circonscription du Sud-Est où j’ai été élu, la PACA et le Rhône-Alpes comptent six députés, et la Corse un seul. Un député de moins ne changerait pas grand-chose pour ces deux régions. Pour la Corse, ce serait, en revanche, très différent.
Comment défendre le dossier corse ?
Plusieurs portes sont ouvertes aux parlementaires et cela a permis au mouvement nationaliste de faire partie de la représentation élue des députés et sénateurs corses dans plusieurs circonstances : venue de Ministres en Corse, délégations auprès du gouvernement sur des questions essentielles pour nous, comme celle des prisonniers politiques sous Nicolas Sarkozy, ou encore celle des langues régionales dernièrement à l’Elysée. Il faut essayer d’anticiper les problèmes futurs quand on vote des règlements européens. J’anime un groupe de travail des élus européens insulaires avec le soutien technique de la Commission des Iles de la Conférence des Régions Périphériques Maritimes. C’est ainsi qu’avec mon collègue sarde Giommaria Uggias, qui est membre du groupe démocrate, nous avons obtenu qu’une délégation de parlementaires vienne dans le sud de la Corse et le nord de la Sardaigne à la mi-juillet pour réaliser une mission d’études sur la problématique particulière des Iles.
Vous siégez, également, à l’assemblée parlementaire de l’union pour la méditerranée. Quelles perspectives cela pourrait-il ouvrir pour la Corse ?
L’Union pour la Méditerranée est à la fois d’une grande ambition et d’une grande complication. Depuis sa création, elle n’a pas réussi à surmonter l’obstacle politique du conflit israélo-palestinien, et, depuis, le conflit syrien est venu s’ajouter, sans compter les « révolutions arabes » de Libye, Egypte et Tunisie il y a deux ans. L’imbroglio est très grand et les perspectives incertaines. C’est pourquoi j’ai pris l’initiative d’un rapport sur la création d’une stratégie macro-régionale en Méditerranée, de façon à structurer mieux le « pilier européen » de l’Union pour la Méditerranée. L’Europe est la grande puissance de référence dans l’espace méditerranéen, et le Président actuel du Parlement Européen, Martin Schulz, a pris conscience de cette responsabilité en prenant en personne la co-présidence de l’UPM. Selon moi, l’Europe doit commencer par mener une politique mieux coordonnée en son sein, surtout si on considère la crise économique actuelle qui frappe les pays du sud, Grèce, Chypre, Espagne Italie, pour espérer apporter un plus à tous les autres pays riverains. Ce projet a été approuvé par le Secrétariat Général de l’UPM qui, lors de l’élaboration de mon rapport, a mis ses locaux de Barcelone à ma disposition pour présenter ce projet de stratégie macro-régionale en Méditerranée aux régions d’Espagne concernées.
François Hollande a refusé de ratifier la charte des langues minoritaires alors que cela figurait parmi ses engagements. Que vous inspire cette décision ?
Cette décision est plus qu’un revirement. Nous nous sommes sentis trahis tant l’engagement était explicite et la question de la difficulté constitutionnelle aujourd’hui mise en avant parfaitement prise en compte dès la campagne électorale. C’est ce que j’ai exprimé avec le député autonomiste breton Paul Molac et le député européen EELV Jean Jacob Bicep au conseiller David Kessler qui nous a reçus avec un de ses collaborateurs à l’Elysée en début de mois. Si la proposition de François Hollande de réforme constitutionnelle n’apporte rien de neuf sur les langues régionales, cela signifierait qu’il restera aux yeux de tous comme le fossoyeur de la diversité culturelle dans l’Hexagone. Nous avons proposé que la prochaine révision ouvre des droits constitutionnels nouveaux pour les collectivités où une langue régionale est en usage. Nous espérons avoir été entendus. Aspittemu.
Doit-on être pessimiste quant aux éventuelles avancées d’ordre institutionnel ?
Pour le court terme, on sent bien les tensions entre une Collectivité Territoriale de Corse qui veut aller de l’avant, et un Etat central apparemment plus jacobin que jamais. Mais aucune bataille n’est perdue d’avance tant qu’on ne renonce pas à la mener. Sur le long terme, le « tour d’Europe » que l’on fait naturellement quand on est député européen montre à l’évidence l’archaïsme de la construction étatique française. La presse allemande par exemple, quand elle consacre une enquête à la situation économique délicate de la France, ne manque jamais de mettre en avant le jacobinisme comme une des causes majeures des difficultés françaises. Vu de Berlin, c’est une évidence. Elle finira bien par être comprise un jour même à Paris.
Quels sont vos liens avec l’Assemblée de Corse ?
Mes relations avec l’Exécutif régional sont très bonnes, avec le Président Giacobbi lui-même, ainsi qu’avec Emmanuelle de Gentile, Jean Louis Luciani et Pierre Ghionga que j’ai côtoyés lors de réunions à Bruxelles. Le député européen et l’Exécutif régional ont deux positions différentes. L’Exécutif, pour les autorités bruxelloises, est un interlocuteur lointain et occasionnel. Le député européen est par contre au contact quotidien des institutions, et la Commission Européenne dépend du vote des députés européens, pas de ceux des élus de la Corse. C’est bien évidemment un avantage pour nouer des contacts, et espérer être entendus. Mon rôle, actuellement, c’est de peser sur les règlements qui seront en application sur la période 2014-2020, que le Parlement Européen votera courant 2013, pour qu’ils reprennent au mieux les priorités de la Corse. Puis c’est l’Exécutif qui négociera demain les programmes européens pour la Corse avec la Commission Européenne sur la base de ce règlement.
Henri Malosse, originaire du Boziu, vient d’être élu à la tête du conseil économique et social européen. Un atout pour la Corse ?
Je l’ai rencontré à plusieurs reprises. C’était déjà une personnalité importante au sein du Conseil Economique et Social Européen, il a toujours manifesté son attachement à la Corse et même davantage car il prend régulièrement des initiatives pour cela. Par exemple, l’un et l’autre nous avons ouvert les portes des institutions de l’Europe, lui à Bruxelles, moi à Strasbourg, à la fondation Umani de Jean François Bernardini. Ses nouvelles fonctions seront précieuses pour renforcer la présence de la Corse à Bruxelles.
Vingt trois langues officielles en Europe mais également 120 menacées de disparition. Que compte faire l’Europe face à cette situation ?
Depuis dix ans, ce sujet avait été largement minoré dans les programmes européens. Je pense qu’avec la quarantaine de députés issus de tous les groupes politiques –Corse, Tyrolien du sud, Suédophone de Finlande, Gallois, Hongrois de Roumanie et de Slovaquie, Catalan, Basque, Galicien, Sarde, etc…- qui formons l’intergroupe des cultures traditionnelles et des langues régionales, nous avons réveillé l’intérêt pour ces langues et ces cultures qui sont avant tout un patrimoine européen. C’est l’intergroupe qui a appuyé mon projet de rapport au sein des différents groupes, et ce lobbying a fini par vaincre les réticences qui nous avaient bloqués durant les premières années de mandat. Si bien que j’espère que de nombreux programmes européens pourront intervenir en soutien des politiques menées en faveur des langues minoritaires ou menacées de disparition : par exemple un programme « deux langues maternelles » dans le cadre d’Erasmus pour tous, l’intégration des langues régionales dans les politiques de formation du FSE, et même comme levier du développement économique régional. Les négociations sont en cours, et les premiers contacts sont très encourageants.
« L’affaire Cahuzac » mais aussi la mise en examen de Nicolas Sarkozy et le scandale de DSK. Tout cela ne montre-t-il pas les limites et les faiblesses d’un pouvoir sans doute trop centralisé ?
Il faudrait même remonter à Roland Dumas dont le « palmarès » est tout aussi chargé, et qui a durant des années présidé le Conseil Constitutionnel dont les décisions ont de tout temps pénalisé la Corse, et continuent de le faire de façon totalement discrétionnaire. Quand la justice met en cause un Jean Noël Guerrini à Marseille, tous les journaux parisiens pointent les « dangers de la décentralisation ». Par contre la multiplication d’affaires au plus haut niveau de l’Etat les laisse totalement muets. Pas un seul éditorial pour dénoncer les « dangers de la centralisation » ! Quand on pense que le patron de l’administration fiscale était un fraudeur en activité, on réalise que la centralisation extrême de cette administration crée une situation objectivement dangereuse pour la démocratie.
Interview réalisée par Joseph Albertini