Soutenir qu’il conviendrait ou suffirait de s’opposer à l’autonomie pour prévenir une dégradation des finances de la Corse, est aussi erroné que d’affirmer que ce cadre institutionnel ferait office de « baguette magique anti crise ».
La Fédération Régions et Peuples Solidaires regroupe des partis autonomistes d’Alsace, de Bretagne, de Savoie, du Pays Basque et d’Occitanie. Le PNC (Partitu di a Nazione Corsa) en est l’adhérent corse. Fin août, lors de son Université d’été qui a eu lieu à Biarritz, la Fédération a confirmé son choix d’une Europe où les régions se verraient reconnaître davantage de responsabilités et de liberté d’action, soulignant que cela permettrait d’apporter des solutions plus rapides et plus efficaces à la crise économique. En effet, selon la Fédération, les régions d’Europe disposant d’une grande autonomie, feraient mieux face à la crise que les autres. Aussi, pour les mois qui viennent et dans la perspective de la mise en œuvre de l’acte III de la décentralisation promis par le président de la République, la Fédération a prévu d’agir pour que la région soit reconnue comme l’échelon majeur des collectivités locales et dispose d’une autonomie fiscale et budgétaire. Le constat optimiste et allant dans le sens d’un l’accroissement du pouvoir régional qu’avance la Fédération, doit cependant être nuancé car les régions espagnoles qui bénéficient pour la plupart d’une très large autonomie, sont financièrement à la peine et dans l’obligation de demander de l’aide à l’Etat espagnol. Ainsi la région de Valence vient de solliciter 4,5 milliards d’euros quelques jours après que la Catalogne ait fait état d’un besoin de 5 milliards. Et les économistes s’attendent à d’autres demandes car, depuis 2008, les finances des régions espagnoles ont fortement été impactées et fragilisées par l’éclatement de la bulle immobilière. Pour satisfaire les demandes des régions, le gouvernement espagnol a d’ailleurs créé un fonds d’intervention de 18 milliards d’euros. Mais, en contrepartie de son aide et devant lui-même opérer des coupes sombres dans son budget pour faire face à ses obligations de réduction des déficits, Madrid demande aux régions de se plier à une grande austérité budgétaire. « Nous exigeons des régions ce que l’Europe exige de nous » explique le ministre espagnol du Budget. Il va sans dire que les populations concernées ont du mal à accepter l’austérité. D’autant que dans les régions à forte identité comme la Catalogne et le Pays Basque, aux désagréments qu’occasionnent les restrictions frappant des domaines comme la solidarité, la santé et l’éducation, s’ajoute la crainte d’un retour en force du pouvoir madrilène au détriment d’autonomies acquises après la fin du franquisme. Ce sentiment apparaît d’ailleurs fondé si l’on prend en compte que la Droite espagnole, actuellement au pouvoir, apparaît désireuse de rogner l’autonomie des régions. Certains observateurs, évoquant des prises de position comme la remise en cause du droit à l’avortement, la soupçonnent même de néo-franquisme, ce qui n’est pas de nature à rassurer du côté de Barcelone ou de Bilbao.
La cerise sur le gâteau
La situation financière difficile des régions espagnoles donne bien entendu du grain à moudre à tous ceux qui, en Corse et ailleurs, à partir de considérations gestionnaires (excluant toute vision jacobine ou centraliste), s’inquiètent d’une éventuelle évolution des institutions insulaires vers davantage d’autonomie. Selon eux, les pouvoirs locaux, de par la proximité et l’électoralisme, seraient naturellement enclins à l’endettement ainsi qu’aux dépenses inutiles ou excessives. Cependant, même si ces détracteurs du pouvoir local ont souvent quelques raisons de l’être, cela ne peut suffire à fonder le rejet d’une Corse plus autonome au sein de la République. En effet, si les élus locaux ont une part incontestable de responsabilité dans la fragilisation financière des régions espagnoles, l’Etat ne s’est pas avéré être un meilleur gestionnaire. La bulle immobilière, tout comme d’ailleurs la gestion aventureuse du système bancaire ibérique, a été un phénomène qui a concerné l’ensemble de l’’Espagne, et l’Etat n’a pas su davantage la maîtriser que les pouvoirs locaux basque, catalan ou andalou. En outre ce même Etat n’a pas manqué de provoquer le transfert vers les régions de nombreuses charges qui lui incombaient. Enfin, il s’est avéré aussi incapable que les hiérarques de Barcelone ou de Valence, en matière de limitation des dépenses publiques. Suggérer qu’il conviendrait ou suffirait de s’opposer à l’autonomie pour prévenir une dégradation des finances de la Corse ou accélérer la prospérité, est donc aussi erroné que d’affirmer que ce cadre institutionnel ferait office de « baguette magique anti crise ». En revanche, ce qu’il advient de l’autre côté des Pyrénées, devrait inciter tous les élus insulaires, que la Corse prenne ou nom le chemin de l’autonomie, à davantage se préoccuper de réduction des coûts de fonctionnement et à y regarder à deux fois avant de s’engager dans la réalisation de certains investissements. En effet, au vu de l’état dégradé des finances des régions espagnoles dont certaines étaient encore hier citées comme des exemples de prospérité (en particulier la Catalogne), il apparaît aventureux de penser que la Collectivité territoriale - mais aussi les départements, intercommunalités et communes - pourront continuer à fonctionner confortablement et investir massivement alors que les dotations de l’Etat seront au mieux revalorisées au niveau de l’inflation, que Paris transfèrera de nouvelles dépenses aux collectivités locales et que les recettes fiscales seront affectées par la crise. Les élus et les partis politiques insulaires seraient donc inspirés de débattre de solutions visant à optimiser ou contenir la dépense publique. Par ailleurs, à tout prendre, il serait peut-être préférable qu’ils élaborent de bonnes recettes créatrices de développement et d’emploi, et obtiennent au plus vite de Paris des dérogations en matière de fiscalité, de transports et de maîtrise corse du foncier, plutôt que de batailler pour tenter d’arracher un statut d’autonomie à un pouvoir parisien qui semble peu enclin à le concéder. Au fond, davantage de pouvoir local n’a jamais automatiquement ruiné personne, mais il ne suffit pas non plus à remplir les assiettes des administrés, à assurer une bonne politique publique et à empêcher que l’on vide les poches des contribuables à coups d’impôts et de taxes. L’autonomie peut certes représenter une cerise sur le gâteau, mais encore faut-il qu’il y en ait un.
Pierre Corsi