À 42 ans, Jérôme Ferrari, lauréat du Goncourt 2012 est, depuis dix jours, sous les feux des projecteurs. En ballotage avec Patrick Deville, auteur de « Peste et choléra », l’écrivain insulaire a finalement remporté le plus prestigieux prix littéraire pour son roman « Le sermon sur la chute de Rome » où un bar corse est le théâtre d’une fable superbe sur les espérances déçues et les frustrations de toute une vie. Un roman qui aura nécessité six ans de travail. Jérôme Ferrari n’a pas, pour autant, la « grosse tête », happé dans un tourbillon médiatique auquel il ne s’attendait sûrement pas. Entre interviews, émissions TV, radios et coups de fil, il nous a accordés quelques instants pour évoquer, avec humilité son parcours et cette récompense. Une récompense à travers laquelle on retrouve, nécessairement, l’amour de la Corse. Et elle le lui rend bien puisque, depuis l’annonce du lauréat du prix Goncourt, les librairies de l’île sont littéralement prises d’assaut.
Vous êtes lauréat du prix Goncourt. Vous y attendiez-vous ? Que cela représente-t-il pour vous ?
Je ne m’y attendais pas, ce qui ne veut pas dire que je suis tombé des nues. Il y avait trois listes au départ et j’en faisais partie. On sait qu’on peut être lauréat mais on ne s’attend pas à cette éventualité. En outre, je ne pensais pas que ce roman marcherait, encore moins qu’il séduirait les critiques littéraires. C’est un plaisir énorme. Cependant, tout va très vite. On sort, en quelque sorte, de l’anonymat mais durant 72 heures seulement. Ensuite, le quotidien revient. Pour preuve, peu de personnes sont capables de vous citer les précédents lauréats du prix Goncourt. Mais il faut savoir, quand on écrit des romans, que l’on n’est pas appelé à avoir une célébrité de star et cela tombe bien puisque ce n’est pas, pour ma part, le but recherché. Mon objectif consiste à publier des livres et trouver des lecteurs. Et il est vrai, à ce propos, que le Goncourt est important car il donne accès à un nombre de lecteurs incomparable.
Comment le thème du « Sermon sur la chute de Rome » a-t-il été inspiré ?
J’avais, depuis plusieurs années, un projet de ce type que je voulais intituler « Les mondes. ». Et puis, la lecture du passage d’un sermon de Saint-Augustin a été un déclic. L’auteur y précise qu’il ne faut pas s’étonner de voir Rome disparaître puisqu’un monde est comme l’homme : il naît, grandit et meurt.
Cette notion de monde soulignée dans votre roman, n’a-t-elle pas quelque chose d’autobiographique en somme ?
Oui, tout à fait, il y a même une grande part d’autobiographie même si ce n’est pas mon roman le plus personnel. Comme beaucoup de Corses et surtout ceux de la diaspora, j’ai eu le sentiment de connaître deux mondes différents lors de mon enfance et de mon adolescence. L’un à Vitry, en banlieue parisienne durant la période scolaire, et l’autre à Fozzano, le village de mes grands-parents, où je passais toutes les vacances. Très tôt, j’ai eu la sensation de ne plus appartenir au monde de la ville et l’idée de revenir en Corse s’est révélée rapidement, dès l’âge de huit ans. Mais je n’ai pu la concrétiser qu’à vingt ans, une fois mes études de philosophie achevées.
Quels messages souhaitez-vous faire passer à travers vos romans ?
Il n’y a pas de message. Je veux simplement faire de la littérature tout en y développant mes préoccupations d’ordre métaphysique. C’est ma façon d’y intégrer des notions philosophiques sans pour autant, faire de la philosophie. Ce sont des romans, donc des fictions. Il faut y voir ce que l’on y voit dans un roman. Libre à chacun d’y puiser ce qu’il veut.
La Corse est le thème central de votre roman « Sermon sur la chute de Rome ». Un choix délibéré ? Une nécessité ?
L’île reste présente dans tous mes romans. Plus qu’une nécessité, c’est quelque chose qui s’est imposé naturellement. La Corse est l’endroit du monde que je connais le mieux et cela m’est beaucoup plus facile de lui faire servir de cadre à une fiction littéraire. J’y puise, même si c’est souvent de manière inconsciente, quelque chose de mon vécu.
Avez-vous un philosophe ou un auteur préféré ?
J’en ai plusieurs et dans des styles différents. Je citerai Spinoza, entres autres, pour vous donner un nom. Mais je suis assez éclectique dans l’ensemble. La philosophie est un domaine tellement vaste.
Comment ce désir d’écrire est-il est né ?
À vrai dire, je ne sais pas… C’est assez compliqué, si on y réfléchit, d’expliquer la naissance d’un désir. Je devrais peut-être faire une psychanalyse pour répondre à cette question ! Plus sérieusement, je pense que l’écriture est quelque chose de spontané. La plupart des gens qui lisent, ont, à un moment donné, ce désir qui se lève en eux.
Vous vous êtes dirigé vers la philosophie. Une passion, une vocation ?
Un peu des deux. J’ai, tout de suite, été fasciné par la philosophie. Dès la terminale. Avec une prédilection pour la métaphysique, un domaine qui m’a, tout de suite, parlé. Contrairement à ce que l’on pense, ce n’est pas abstrait. Du reste, on ne peut pas aimer quelque chose si on le trouve abstrait. Et je reste persuadé que si on reçoit les choses de manière abstraite, on ne peut pas les trouver très intéressantes.
Que trouvez-vous de concret dans la métaphysique ?
Ce sont des affaires d’intellectuels. La plupart des gens pensent que c’est d’une abstraction monstrueuse. Ce qui est, pourtant, erroné. Ceux qui aiment la logique ou les mathématiques, des disciplines abstraites, ont un rapport presque affectif avec la métaphysique.
La philosophie n’est-elle pas difficile à appréhender et à enseigner dans une société de plus en plus cartésienne ?
Je ne me pose pas la question. Je prends toujours autant de plaisir à faire mon métier, sans quoi j’en aurai changé. On s’efforce de s’adapter au public que l’on a et de rendre notre enseignement le plus attrayant possible.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes auteurs insulaires ?
Je ne donne aucun conseil. Je pense que si les gens veulent écrire, c’est qu’ils ont quelque chose à dire. Il leur suffit de l’exprimer. Et ils n’ont besoin, ni de moi, ni d’un coach.
Interview réalisée par Philippe Peraut