En proposant une intercommunalité réunissant leurs trois communes et d’autres localités, les conseils municipaux de Biguglia, Borgo et Lucciana ont probablement porté un coup mortel au Grand Bastia.
En décembre 2010, une circulaire a établi la feuille de route des préfets concernant l’élaboration de nouveaux schémas départementaux de coopération intercommunale. Paris a ouvert ce chantier en le définissant comme une « coproduction » devant impliquer les préfets et les élus. Le calendrier d’élaboration a toutefois été prévu comme devant être serré. Les préfets ont dû présenter leurs projets de schéma en avril dernier. Les conseils municipaux et communautaires ont été contraints de se prononcer cet été. Il reste moins de quatre mois à des organismes ad hoc, les commissions départementales de la coopération intercommunale (CDCI), pour se prononcer. A la majorité des deux tiers de leurs membres, celles-ci devront soit entériner les projets préfectoraux, soit adopter des solutions alternatives proposées par les élus. Le 31 décembre, les préfets devront avoir arrêté tous les schémas. Il conviendra toutefois que les projets, qu’ils soient préfectoraux ou alternatifs, soient fondés sur « des critères objectifs pertinents, notamment statistiques, cartographiques, géographiques et économiques ». L’Etat rejettera les projets qui auraient pour objet ou effet de rendre plus difficile la démarche de rationalisation inscrite dans la loi. Chez nous, comme ailleurs, la réforme est mise en oeuvre non sans douleur. Toutefois, il est évident que la question la plus sensible est localisée dans la région bastiaise. Le préfet Jean-Luc Nevache, parti sous d’autres cieux en juillet dernier, avait proposé cun schéma réunissant à l’actuelle Communauté d’Agglomération de Bastia (Bastia, Furiani, San Martino di Lota, Santa Maria di Lota, Ville di Pietrabugno), les communes de Biguglia, Borgo et Lucciana. Ce schéma préfigurant un Grand Bastia apparaissait d’ailleurs pertinent. Les collectivités concernées auraient constitué une entité de par leur continuité géographique et leur topographie (ligne littorale, de coteaux et de crêtes courant de Santa Maria di Lota à Lucciana). Leurs cohérences démographique et économique auraient été évidentes car elles relèvent d’un même bassin de vie et d’activités. Enfin, toutes auraient gagné à la mutualisation des atouts et des revenus d’un grand port, d’un aéroport, de routes et de réseaux d’eau et d’assainissement, d’équipements collectifs et de logements sociaux. Cette mutualisation aurait servi la maîtrise de leurs dépenses, leur développement durable et contribué à satisfaire les demandes et les besoins des populations concernées.
Du plomb dans l’aile
Mais le Grand Bastia a du plomb dans l’aile. Réuni fin juillet, le conseil municipal de Bastia émit d’importantes réserves. A cette occasion, Emile Zuccarelli a souligné que l’Etat avait privé l’intercommunalité de sa principale source de revenu fiscal (la taxe professionnelle unique). Ce qui selon le maire de Bastia et président de la Communauté d’Agglomération éponyme représentait une singulière façon de préparer la réforme intercommunale. Ce dernier a ensuite dit tout le mal qu’il pensait de la réforme des collectivités locales imposée par le président de la République, dans laquelle s’inscrit la refonte de la carte intercommunale. Enfin, s’il n’a pas rejeté l’idée d’une extension jusqu’au Golo de l’actuelle Communauté d’Agglomération, il a demandé que soit auparavant apporté des réponses à cinq questions : quelles compétences précises, quelles ressources fiscales ou autres, quelle gouvernance, qu’en pensent les autres communes ? Et dans l’attente de réponse, il a préconisé et obtenu un vote prévoyant qu’à titre conservatoire, la proposition préfectorale ne soit pas acceptée en l’état. Quelques jours plus tard, la Communauté d’Agglomération est allée en ce sens. Les délégués des cinq communes membres ont adopté à l’unanimité le principe d’étendre la Communauté de Brando au Golo, tout en émettant des réserves, en particulier concernant l’absence de précisions données par l’Etat en matière de gouvernance et de ressources. Cet enthousiasme mitigé des élus bastiais et des délégués communautaires ne signifiait pas un rejet de la proposition préfectorale. En revanche, en refusant cette dernière et en proposant une solution alternative réunissant leurs trois communes du sud bastiais et des localités rurales de moindre taille, les conseils municipaux de Biguglia, Borgo et Lucciana lui ont probablement porté un coup mortel. Ce qu’a d’ailleurs confirmé le député-maire de Biguglia, Sauveur Gandolfi- Scheit, en révélant que l’actuel préfet de Haute-Corse serait favorable à cette solution « sudiste ». Contrairement à ce que certains ont pu écrire ou affirmer, il n’y a aurait donc pas de bras de fer engagé avec l’État et il existerait toutes chances que soit créée la Communauté de communes de la Marana et du Golo composée de Borgo, Biguglia, Lucciana, Monte, Olmo, Vignale, Bigorno, Campitello, Lento, Prunelli-di-Casaconi, Scolca et Volpajola. Ces chances seraient d’autant plus fortes qu’Emile Zuccarelli a fait savoir qu’il ne soutiendrait pas une évolution non souhaitée par tous. Quant aux nationalistes, même s’ils estiment que le Grand Bastia serait souhaitable, ils ne mourront pas sur la barricade. En effet, estimant que la Corse n’est pas concernée par la réforme des collectivités, ils considèrent que cela vaut aussi pour l’intercommunalité.
Pierre Corsi