L’expansion et le nombre croissant des hypermarchés mettent à mal et menacent de disparition le commerce de proximité de centre-ville.
Le FLNC a revendiqué les attentats perpétrés contre sept établissements de la grande distribution. L’organisation clandestine a fustigé les prix élevés qui y sont pratiqués, affirmé que les hausses pratiquées dépassaient « les nécessités de la saison touristique » et intimé l’ordre aux enseignes de « baisser significativement les prix pratiqués » avant décembre 2012. Elle a outre affiché son opposition à l’implantation de nouvelles grandes surfaces et son soutien au commerce de proximité. On notera que le communiqué de revendication a précédé de peu l’annonce de la Commission départementale d’aménagement commercial approuvant le projet de création d’une zone commerciale de 32.000 m² sur le territoire de la commune de Sarrola-Carcopino à l’entrée d’Ajaccio. Représentant un investissement de 200 M€, la zone devrait comprendre une grande surface, une quarantaine de commerces, un gymnase, une crèche de 300 places et 1000 logements. Pourtant, il y a quelque mois, sensible aux oppositions de la Ville d’Ajaccio, de la CAPA (Communauté d’Agglomération du Pays Ajaccien), de la Chambre de métiers. de la Corse-du-Sud et de l’Union Professionnelle des Artisans, la Commission nationale d’aménagement commercial avait rejeté ce projet ainsi qu’un autre de même nature. Mais, prétextant un remaniement du projet, la Commission départementale a renouvelé l’avis favorable qu’elle avait précédemment émis. Pour les opposants, il s’agit d’un coup mortel porté au commerce de proximité ajaccien et à l’ensemble de l’équilibre économique et commercial du Pays ajaccien. Selon eux, la population recensée sur le territoire de la communauté d’agglomération (85.000 habitants), n’autorise pas d’augmenter la place de la grande distribution. En revanche, faisant cavalier seul, le maire de Sarrola-Carcopino soutient le projet, jugeant qu’il sert la dynamique de sa commune et induira 1000 emplois. Rien n’est cependant encore fait car les opposants vont à nouveau monter au créneau, en s’appuyant sur le SCOT (Schéma de cohérence territoriale) que devrait adopter la CAPA, pour saisir à nouveau la Commission nationale d’aménagement commercial. Tout cela donne incontestablement du grain à moudre aux clandestins. Ils peuvent arguer que les intérêts privés l’emportant sur la volonté d’élus et de socioprofessionnels, leur intervention est justifiée.
Hypertrophie de la grande distribution
Ces mêmes clandestins sont aussi confortés dans leur démarche par des études portant sur l’impact de la grande distribution en France. Il est vérifié que l’expansion et le nombre croissant des hypermarchés mettent à mal et menacent de disparition le commerce de proximité de centre-ville. Une étude portant sur la période 1993/2003 a montré que le commerce de proximité de la viande et de la charcuterie avait vu diminuer le nombre de ses établissements selon des pourcentages dramatiques : moins 21% pour la boucherie, moins 43% pour la charcuterie. La pâtisserie traditionnelle a aussi beaucoup souffert. Elle a perdu un tiers de ses établissements. Les secteurs des fruits et légumes et des produits laitiers ont également accusé le coup, voyant respectivement disparaître prés d’un quart et plus du tiers de leurs établissements. Quant aux crémiers, malgré la hausse de consommation des produits laitiers, ils ont quasiment disparu du paysage commercial des grands centres urbains. Même le commerce alimentaire de détail sur éventaires et marchés a fortement régressé (moins 8%). Cette évolution négative a aussi concerné d’autres secteurs comme, par exemple, les boutiques d’habillement hors franchise. En réalité, depuis son apparition il y a cinquante ans, la grande distribution ne cesse de croître et de s’étendre en captant de plus en plus de parts de marché, au détriment du commerce de proximité. Pour résister, ce dernier ne ménage pourtant pas ses efforts, en particulier en s’appuyant sur la recherche du « bien manger » manifestée par de nombreux consommateurs. Ceux-ci veulent consommer des fruits et légumes, manger équilibré, disposer d’aliments frais. Leur exigence de fraîcheur des aliments l’emporte même sur leur demande de goût, de saveur, de marque ou de label de qualité. Or, il apparaît que ces consommateurs croient au savoir faire du détaillant concernant la sélection de produits de qualité et sont sceptiques à l’encontre de la grande surface. Le commerce de proximité dispose donc encore d’atouts et s’est employé à les jouer. Il améliore la qualité professionnelle de ses chefs d’entreprise. Il s’implique dans le maintien du tissu urbain et rural. Il investit dans la formation. Ses écoles professionnelles, ainsi que ses centres d’apprentissage et de formation proposent des diplômes et des certificats de qualification très prisés par la valeur des enseignements dispensés. Enfin, il met en place des actions pour communiquer et promouvoir son identité et son savoir-faire : participation à de nombreux salons et concours, manifestations de promotion avec mise en avant de produits, opérations de promotion collective… On peut aussi retenir qu’une synergie est apparue entre les grossistes et les détaillants afin de sélectionner et promouvoir des produits de qualité pouvant satisfaire le consommateur. Tous ces efforts dont certains ont été consentis par les commerçants corses, ne peuvent toutefois que s’avérer vains si des élus locaux et des investisseurs continuent de pousser à une hypertrophie de la grande distribution. Avec la montée en puissance du commerce en ligne, la réalisation de la zone commerciale de Sarrola pourrait bien condamner le cours Napoléon et la rue Fesch à n’être plus que des univers de dents creuses, de snacks, d’agences bancaires et de marchands de lunettes.
Pierre Corsi