En acceptant la Légion d’honneur, Gérard Romiti a agi avec honnêteté et discernement car il n’est pas le seul détenteur de son ruban rouge.
La promotion civile de la Légion d’honneur, parue le 1er janvier au Journal officiel, comprenait près de 700 noms. Il en est un qui a retenu l’attention, Gérard Romiti, car c’est la première fois qu’un militant nationaliste de premier plan, se voie décerner la plus haute distinction honorifique de la République Française. Cet évènement a provoqué, dans la sphère nationaliste, des réactions allant du persiflage à la critique acerbe. Pour sa part, dans un billet dont il convient de souligner la retenue et la courtoisie, Jean-Guy Talamoni a conclu ainsi : « Je ne conseillerais pas à Gérard, de refuser avec hauteur ou arrogance. Mais simplement de répondre qu’il lui est impossible d’accepter cette décoration tant que durera le conflit entre la Corse et Paris. » Si l’on se positionne dans une dimension exclusivement nationaliste, la colère militante est compréhensible. Quant à la conclusion du leader de Corsica Libera, elle est éthiquement correcte et politiquement recevable. En revanche, si l’on tient compte du contexte global, on peut comprendre que Gérard Romiti ait accepté le ruban (tout en précisant qu’il ne le porterait pas). D’autant que, contrairement à ce qu’ont affirmé certains de ses détracteurs, il n’a rien sollicité. En effet, on ne demande pas la Légion d’honneur, on est proposé par des tiers, puis retenu selon la procédure suivante. Le préfet retient des propositions et les adresse aux ministères concernés ; chaque ministre fait son choix puis remet sa sélection à la Grande Chancellerie de la Légion d’honneur ; les membres du Conseil de l’Ordre et le Grand chancelier étudient les dossiers puis transmettent leurs propositions au Président de la République ; ce dernier, qui est aussi le Grand maître de l’ordre, donne un accord définitif par décret.
Honnêteté et discernement
Peut-on comprendre et respecter la décision de Gérard Romiti ? N’aurait-il pas dû, comme l’a fait le dessinateur René Tardi, émettre un refus, ce dernier ayant renvoyé, assortie d’une bordée d’invectives, le ruban à la ministre de la Culture. A mon sens, Gérard Romiti a agi avec honnêteté et discernement. Sa décision a été celle d’un homme d’honneur. Contrairement à Tardi, qui avait été distingué pour son œuvre propre, Gérard Romiti n’était pas totalement libre de décider. En effet, c’est aussi un travail collectif et remarquable - celui réalisé en faveur de la pérennisation des espèces, par tous les membres des Comité régional et national des pêches maritimes et des élevages marins qu’il préside – qui a été honoré en sa personne. Aussi, j’en suis convaincue, il eût été inconvenant qu’au nom de convictions politiques et partisanes, il privât d’une distinction méritée, des milliers de pêcheurs et aquaculteurs corses et continentaux « S’il acceptait la Légion d’honneur, c’est avec lui-même qu’il ne serait pas d’accord » affirmait pertinemment Jean-Guy Talamoni en se référant au passé politique de son ami. Mais s’il l’avait refusée, Gérard Romiti eût été en désaccord avec plus de 40 ans de vie consacrée à la pêche et à la préservation des ressources halieutiques. A un « non » qui lui eût évité bien des sarcasmes et des critiques, et qui peut choquer, il a préféré un « oui », très contesté, mais synonyme de respect envers tous ceux qui, à ses côtés, construisent la pêche de demain.
Alexandra Sereni