L’INSÉCURITÉ DES PRÉCURSEURS
Récent colloque à Bastia sur le Second Empire, ramenant dans l’actualité cette période d’histoire. Nous avions, ici même, consacré une chronique aux rapports de Napoléon III avec la Corse. Elle nous avait entraîné à l’évocation de sa politique de la ville pour Ajaccio et Bastia et à mentionner la modernité de son urbanisme. Cette modernité de l’Empire va se manifester dans de multiples domaines. Elle marquera de son empreinte tout le siècle suivant. L’urbanisme était une passion pour Napoléon III. Il est intervenu personnellement dans la transformation de Paris non seulement par le choix d’Haussmann comme préfet mais aussi du fait que les plans des grands travaux de la capitale furent l’œuvre personnelle de l’empereur. Chargé de les réaliser, Haussmann était reçu chaque jour dans le bureau du souverain dont lui-même partageait les vues. On a gardé le souvenir, parmi les architectes et les urbanistes, de la fameuse carte de la capitale qui trônait dans le cabinet impérial des Tuileries. L’empereur avait tracé lui-même « en bleu, en rouge, en jaune et en vert suivant leur degré d’urgence, les différentes voies nouvelles qu’il se proposait de faire exécuter. » nous apprend Haussmann dans ses mémoires. Celui-ci relate aussi que Napoléon III en personne avait crayonné les esquisses des pavillons des Halles, chef d’œuvre de l’architecture d’avant-garde avec ses colonnes de fer, élégantes et solides, œuvre de l’architecte Balthard. Tout Paris regrette aujourd’hui sa destruction au temps de Pompidou. Bref, le Paris actuel avec ses larges avenues, ses squares, ses parcs, ses adductions d’eau, son Opéra, son Bois de Boulogne est une ville autant haussmannienne que « tri napoléonienne ». L’empereur était un adepte actif du progrès. Le progrès social avait été la première de ses orientations politiques. Il avait été séduit et inspiré par le livre « L’organisation du travail » de Louis Blanc, d’origine ajaccienne comme lui. Il s’était préoccupé également d’économie politique. C’est ainsi qu’il avait publié « La question des Sucres » en 1842, puis « L’extinction du paupérisme » en 1844. De nos jours encore, la querelle du Libéralisme et du Socialisme bat son plein. Louis Napoléon adhérait au libéralisme en même temps qu’il formulait de fortes réserves envers celui-ci en matière sociale. Il souhaitait que l’action de l’Etat porte remède aux plaies sociales. Il écrivait : « Le dixième au moins de la population est en haillons et meurt de faim en présence de milliers de produits manufacturés. » C’est sous son règne, à son initiative, que fut votée la loi sur les coalitions, autrement dit que fut reconnu le droit de grève. Seul l’appui impérial sauva le vote de la loi qui se heurtait à de fortes oppositions. Dès 1852, il avait organisé des Sociétés de secours mutuel. Il avait procédé à la fondation d’une Caisse de retraite et de secours mutuel pour les ouvriers et employés des manufactures de Sèvres et des Gobelins. Il avait entrepris une politique de construction de logements ouvriers. Enfin, il donna une impulsion extraordinaire à l’établissement des voies ferrées et des trains. En Algérie, il avait entrepris de mettre en œuvre « Le Royaume Arabe » reconnaissant par un Sénatus-Consulte les droits de propriété individuelle et collective des Algériens de souche. Un autre donna aux Israélites et aux Arabes le droit de citoyenneté française mais ne leur en accordant les privilèges politiques que s’ils acceptaient les lois civiles et politiques de la France. Il avait procédé à l’ouverture d’écoles où était pratiquée l’étude de la langue arabe et de la française. Enfin, l’empereur d’Autriche avait cédé la Vénétie à Napoléon III. Celui-ci la rétrocéda à Cavour. De même il lui céda la Romagne, Parme et Modène. En compensation Victor-Emmanuel céda à la France la Savoie et Nice. Comme on vient de le voir, ces questions font encore largement partie de notre actualité. Les critiques du Second Empire n’ont pas manqué non plus. Sa modernité a valu à Napoléon III l’insécurité des précurseurs. Elle est toujours leur lot. Inéluctable.
Marc’Aureliu Pietrasanta