Les électeurs nationalistes et les mouvements dont ils se réclament, pourraient bien être de grands perdants si la « nouvelle architecture » institutionnelle devenait une construction.
La divulgation de ce qui pourrait constituer la « nouvelle architecture » de l’institution territoriale n’est pas passée inaperçue. La Commission Chaubon chargée de formuler des propositions de réforme institutionnelle et constitutionnelle a certes relativisé le « scoop » du quotidien unique. Mais Paul Giacobbi a été loin d’apporter un démenti formel. A y regarder de près, cette apparente contradiction s’explique. Il semble qu’il y ait beaucoup de vraies pistes dans le document de travail rédigé par un responsable de la Collectivité Territoriale. Et pour avancer cette hypothèse, nul besoin de détenir des informations soutirées à des sources sûres. Il suffit tout bonnement de constater que la « nouvelle architecture », en ménageant beaucoup d’intérêts partisans et locaux, conviendrait à beaucoup de monde. La création de trois « conseils territoriaux » (Corse, Haute-Corse, Corse-du-Sud) représentant un total de 97 élus permettrait en effet de calmer les inquiétudes des conseillers généraux, de ménager les campanilismes et en définitive de susciter une adhésion. Pour au moins quatre raisons… Premièrement, l’existence de trois conseils assurerait l’existence d’un nombre significatif d’élus permettant à nombre de conseillers généraux de conserver un mandat ou de faire en sorte de le transmettre à qui bon leur semblerait. Deuxièmement, la fameuse « représentation de tous les territoires » serait garantie car les conseils Nord et Sud auraient en charge la solidarité sociale et l’administration de la proximité. Troisièmement, faire siéger, à Corte, l’Assemblée de Corse qui fédèrerait les trois conseils, satisferait bien entendu le Centre Corse et les ruraux. Restant « capitale régionale » car conservant l’Hôtel de région, l’Exécutif territorial et l’essentiel de l’administration de la Collectivité Territoriale, Ajaccio s’accommoderait de la situation. Quatrièmement, les élus de la région bastiaise se trouveraient bien de voir réduite la distance kilométrique entre leur domicile et l’hémicycle territorial. La « nouvelle architecture » serait par ailleurs susceptible de concilier les points de vue « évolutionnistes » et « républicains » de droite ou de gauche : le statut quo serait remis en cause mais les départements ne disparaitraient pas tout à fait ; la Corse se doterait d’une nouvelle organisation institutionnelle mais tout cela s’inscrirait dans l’évolution de la décentralisation promise par le Président de la République. les élus de proximité sont préservés. L’honneur serait donc sauf dans les deux camps. Le risque d’un affrontement comparable à celui qui avait marqué le processus Matignon pourrait être écarté.
Tous au champagne ?
Il subsisterait bien entendu la question épineuse de la répartition des compétences devant être dévolues aux élus territoriaux. La solution envisagée serait elle aussi de nature à « rassembler. Les « républicains » regretteraient certes que ne soit pas retenue l’instauration de collectivités locales chef de file » selon des blocs de compétences, mais ils auraient matière à se féliciter que la Corse ne soit pas gouvernée par une collectivité unique issue d’une fusion CTC/Départements. Les « évolutionnistes » déploreraient probablement que les trois conseils territoriaux représentassent une survivance de la CTC et des départements, mais ils seraient en mesure de faire valoir que les trois conseils auraient une même dénomination « Collectivité de Corse » et relèveraient au fond d’une même entité. D’autant qu’ils auraient aussi la possibilité d’affirmer que toutes les délibérations des conseils, le seraient au titre de la « Collectivité de Corse ». Tout le monde aurait donc matière à sabler le champagne. Enfin presque… En réalité, au moins un tiers des électeurs s’étant rendus aux urnes lors du scrutin territorial de 2010 devraient avoir quelques bonnes raisons de ne pas sauter de joie. Il s’agit, vous l’avez compris, des électeurs nationalistes car ceux-ci et les mouvements dont ils se réclament, pourraient bien être de grands perdants si la « nouvelle architecture » devenait une construction. D’abord, la réforme de grande ampleur des institutions de la Corse et donc de sa gouvernance, passerait à la trappe. Ensuite, le maintien d’une forte prépondérance des élus ruraux, malgré l’adjonction de la proportionnelle et de la parité, favoriseraient les notables et les partis traditionnels qui, depuis des lustres, quadrillent et maillent le champ de bataille électoral. Tout aurait tremblé et peu de choses auraient bougé. Ce qui serait grave pour les nationalistes, mais aussi et surtout pour les Corses. Une gouvernance du passé continuerait de handicaper le développement général de l’île sous l’influence d’intérêts locaux ou particuliers, et l’absence de perspectives en découlant alimenterait la violence clandestine et le banditisme. La Corse a grand besoin de réformes en profondeur et non d’habillages qui n’auraient pour ambition que de préserver les positions acquises des uns et des autres à partir de consensus équivoques. Peut-on faire évoluer les choses significativement et satisfaire tout le monde ? La réponse est non. Depuis au moins la Révolution française, chaque esprit un tant soit peu éclairé qui prétend gouverner la cité, sait bien que la force du mouvement doit, un jour ou l’autre, venir à bout des forces de l’inertie et du retour en arrière. Comme toute chose en ce bas monde, le consensus a lui aussi ses limites.
Pierre Corsi