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ETA : l’adieu aux armes

jeudi 3 novembre 2011, par Journal de la Corse

Avant de tourner la page, un petit rappel historique ne sacrifiant pas aux axiomes de la pensée dominante.

ETA (Euskadi ta Askatasuna / Patrie basque et Liberté) a décidé d’en finir avec les armes et les explosifs. Personne ne devrait plus mourir pour cause de question basque. Les portes des prisons devraient s’ouvrir dans un délai raisonnable pour des centaines de militants nationalistes basques. Incontestablement, le nationalisme et la société d’Euskadi, ainsi que l’Espagne, voient s’ouvrir une nouvelle page. Souhaitons qu’elle soit belle et que toutes les parties y trouvent matière à se réjouir. Mais avant de tourner définitivement la page, un petit rappel historique s’impose. On ne saurait se satisfaire des commentaires manichéens célébrant le triomphe de la démocratie sur la violence, du bulletin de vote sur le terrorisme, de la collaboration policière et judiciaire espagnole et française sur l’organisation clandestine des indépendantistes basques. On ne saurait non plus considérer que la responsabilité de la mort de 800 personnes puisse être attribuée à la seule ETA. La réalité est bien plus complexe.

Résistance à la dictature

ETA est née en 1959 alors que - sous la dictature du général Franco épargnée après la Seconde guerre mondiale par les démocraties occidentales pour causes de Guerre froide et de lutte contre le communisme - le Peuple basque était encore plus opprimé que le reste des peuples d’Espagne. Elle a été créée par des dissidents de gauche du Parti nationaliste basque (PNV) qui contestaient l’inaction, le conservatisme et le cléricalisme de cette formation. ETA n’a pas été une organisation d’essence antidémocratique. Au contraire, durant des années, elle a été à la pointe d’une résistance offensive contre une dictature féroce et a payé le prix du sang et des larmes. En 1968, ayant déjà essuyé une sévère répression, elle a, pour la première fois, abattu un exécutant de l’appareil répressif (un policier). En 1973, ETA a fortement contribué à accélérer le processus démocratique espagnol et ainsi acquis une grande popularité en Espagne et au plan européen. Elle a organisé et exécuté, en plein Madrid, un attentat spectaculaire qui a mis fin aux jours de l’amiral Carrero Blanco, l’héritier désigné du général Franco. Cette action a réduit à néant les espoirs de survie du régime franquiste qu’entretenait une camarilla très inquiète du vieillissement et de la dégradation de l’état de santé du Caudillo. Franco s’étant éteint en 1975, la mort de l’amiral a donné au roi Juan Carlos et aux démocrates les coudées franches pour instaurer la démocratie. Le peuple basque a lui aussi bénéficié de cette évolution. Dès octobre 1977, les nationalistes emprisonnés ou recherchés ont été amnistiés. L’ETA a pour sa part approuvé le statut d’autonomie au Pays basque prévu par la nouvelle constitution espagnole. Quant au PNV, en 1980, il a remporté les premières élections désignant les députés du Parlement basque.

Les occasions ratées

Mais, par la faute, de tous les acteurs directement concernés, la violence est revenue en force en Euskadi. L’Etat espagnol a refusé de reconnaître les droits du Peuple basque à l’autodétermination et à l’indépendance. Pour consolider son pouvoir, le PNV s’est enlisé dans une gestion conservatrice du quotidien ainsi que dans une démarche autonomiste ménageant l’Etat espagnol. Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en Espagne (1982), la France, alors elle aussi gouvernée à gauche, a raidi sa politique basque, refusant en particulier la création d’un département basque qu’avait pourtant promise François Mitterrand. ETA a pour sa part initié le développement d’importants et influents contrepouvoirs politique, médiatique, économique, syndical et culturel. En revanche, en ne renonçant pas à une action armée meurtrière, l’organisation n’a pas pris la mesure d’une évolution démocratique qui tendait à la marginaliser. Progressivement, tout en conservant un important soutien au sein du peuple basque, elle a perdu le capital de sympathie qu’elle détenait en Espagne et dans le reste de l’Europe, et plus particulièrement en France (1986, décision du gouvernement Fabius d’extrader des militants d’ETA ; tolérance des assassinats de réfugiés basques perpétrés en France par des barbouzes répondant aux ordres de la police espagnole). Son isolement a été accentué, en 1987, par l’explosion incontrôlée d’une voiture piégée qui a tué 21 personnes à Barcelone. Bien qu’elle ait dénoncé la rétention par les autorités espagnoles d’une invitation à évacuer préventivement les lieux, ETA ne s’est jamais remise politiquement de la tragédie de Barcelone. L’événement a fait entrer l’organisation dans la catégorie « terroriste » et elle n’a jamais pu se débarrasser de cette tunique de Nessus tricotée par ses adversaires politiques (y compris le parti nationaliste basque) et les médias. Cette « diabolisation » a par ailleurs créé les conditions des actions judiciaires qui, à partir de 1998, ont permis au juge Baltasar Garzon et à l’Audience nationale espagnole de se livrer à une entreprise de démantèlement des contrepouvoirs de l’indépendantisme basque et à l’interdiction de partis politiques réputés comme étant liés à l’ETA.

Vers la fin de l’action armée

En 2006, ETA a amorcé l’évolution qui l’a conduite à son adieu aux armes. Ayant constaté ses lacunes face à la pression répressive, consciente d’un décalage entre sa ligne politique radicale et la réalité démocratique espagnole (malgré d’importantes atteintes aux droits de l’homme de la part des policiers et des juges pourchassant les militants basques), et aussi prenant en compte une aspiration du Peuple basque à la paix, ETA a unilatéralement annoncé un « cessez-le-feu permanent ». Elle a aussi autorisé des contacts secrets avec l’Etat espagnol. Mais en l’absence de tout geste encourageant de ce dernier, elle a commis et revendiqué neuf mois plus tard un attentat à l’aéroport de Madrid qui a involontairement entraîné la mort de deux voyageurs. Ce regain activiste a également donné lieu à une demi-douzaine d’assassinats jusqu’en 2009. Puis, ETA a mis fin aux attentats contre les personnes et au prélèvement de « l’impôt révolutionnaire ». Elle est devenue une organisation militairement dormante. Le 20 octobre, cette mise en sommeil est devenue un adieu aux armes : ETA a annoncé la fin définitive de son action armée. Quelles pourront être les incidences politiques de cette décision ? Nous traiteront cette problématique la semaine prochaine.

Pierre Corsi

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