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EAU DE CORSE : LE TONNEAU DES DANAÏDES

jeudi 14 février 2013, par Journal de la Corse

Un nouveau plan de 92 MF a été présenté, fin 2012 par l’Agence de l’Eau et le Conseil Exécutif de Corse. Il porte en priorité sur les réseaux d’eau potable et d’assainissement des communes rurales, mais aussi sur la restauration des rivières. Un bel effort pour sauvegarder l’eau de Corse. Mais il en faudrait un autre, plus vaste encore, pour la retenir. Car ce n’est pas l’eau qui manque le ciel étant d’une générosité remarquable. Cependant cette eau s’en va à la mer dans des proportions de l’ordre de 99%. C’est dire les lourdes pertes que l’île subit. Tout en gardant intactes ses réserves naturelles ce qui n’est pas rien.

La Corse, un château d’eau. C’est la seule île de la Méditerranée qui puisse être ainsi qualifiée. Tant par l’importance des précipitations (8 milliards de mètres cubes annuels) que par le nombre de ses rivières, de ses lacs et de ses étangs. Les rivières les plus significatives, une trentaine environ, débitent quelque 3,2 milliards de mètres cubes par an et à cette eau courante s’ajoute celle des trente huit lacs de montagne, dont les plus connus sont ceux de Nino, Melo, Reno, Capitello, Goria et Bastiani et des trois grands étangs de la côte orientale : Biguglia, Diana et Urbinu. Avec, en plus, les onze retenues ou barrages qui permettent le stockage de quatre vingt sept millions de mètres cubes. Ces retenues ou barrages servent à la production d’énergie (Ocana, Calacuccia) ou à l’irrigation (Peri, Teppe Rosse) ou les deux à la fois (Alesani, Tolla, Sampolo). Et la réserve ne se limite pas aux eaux « visibles » puisque de nombreux captages exploitent une nappe alluviale capable de fournir 190.000 m3/jour. On retiendra, enfin, les sources thermales dont les plus connues sont celles d’Orezza, Puzzichellu, Pietrapola, Baracci, Guagno et Urbalacone. Mais comment la Corse utilise-t-elle cette eau dont elle est si abondamment pourvue et qu’elle consomme si peu (à peine 1% de ce qu’elle reçoit, le reste allant à la mer) ? Selon une études des biologistes Paul Franceschi et Antoine Orsini, réalisée, il y a une quinzaine d’années, à l’université de Corte, près de trente millions de mètres cubes par an sont employés pour l’alimentation en eau potable, une eau dont la qualité est souvent altérée par la vétusté des canalisations et l’absence de périmètre de protection autour des bassins d’alimentation qui fait que « l’eau pure de nos montagnes » distribuée dans les villages haut perchés s’avère souvent impropre à la consommation à cause des excréments d’animaux qui la polluent et la rendent dangereuse pour la santé. En 1980 et toujours selon les biologistes précités, vingt millions de mètres cubes servaient à l’irrigation et on en utilisait presque le double en 1988, presque le triple en 1998. Le remplacement du vignoble, dans la plaine orientale, par des vergers de kiwis est une des raisons de cette augmentation de la consommation qui n’a pas été sans inquiéter certains agriculteurs. Ils soulignent également dans leur étude que :

1.La lutte contre les incendies engloutit des centaines de milliers de mètres cubes. Même si l’écopage d’eau de mer reste le plus important, une grosse quantité d’eau douce est également utilisée : pompage dans les rivières, les lacs et les retenues.

2. D’autres activités, moins directes, concernent aussi le réseau hydrographique insulaire. Ainsi l’exploitation des gravières touche une dizaine de cours d’eau. Un million et demi de tonnes sont extraites chaque année, selon un recensement officiel, mais ce chiffre serait sous estimé.

3. L’eau en tant que champ de loisirs ne doit pas être négligée : pêche, baignades, canoë-kayak, canyoning qui font que la Corse possède dans ce domaine de très grandes potentialités.

UN EQUILIBRE FRAGILE

L’équilibre entre les activités humaines et l’écosystème aquatique est difficile à trouver, estiment les deux universitaires. Selon eux, la faune et la flore aquatique de Corse sont très riches et présentent de nombreuses espèces endémiques. Cette faune et cette flore sont rhéophiles, c’est-à-dire adaptées au courant. Leurs besoins en oxygène sont importants aussi les retenues artificielles, entraînent la disparition de ces espèces suite à une augmentation de la température de l’eau et une diminution de la concentration en oxygène. Un phénomène bien connu de prolifération, puis de décomposition d’algues accentue le déficit en oxygène et peut entraîner la mort de la plupart des animaux et des végétaux des rivières. Par ailleurs, les barrages empêchent les migrations de poissons et, notamment, des truites lors du frai. Enfin le pouvoir auto épurateur du cours d’eau est réduit dés lors que le débit diminue. L’exemple le plus frappant de ce type de situation est donné avec le barrage de Calacuccia, alimenté par les eaux du Golo et du Tavignanu. Une grande portion des deux rivières (entre la prise de Sovenzia et l’aval de Corte pour le Tavignano, toute la Scala di Santa Regina pour le Golo) s’est vue complètement modifiée. Le cas du Tavignanu semble le plus préoccupant puisque passé Corte, il ne semble se reprendre quelque peu qu’après la « transfusion » que constituent pour lui des eaux du Vecchio. On constate donc que les prises d’eau semblent avoir des effets encore plus néfastes que les barrages et ces effets sont d’autant plus importants que le débit du cours d’eau est faible. En fait, tout court-circuitage d’une portion de rivière entraîne une détérioration du milieu aquatique. Les rejets d’eaux usées non épurées est un des facteurs d’altération de la qualité des eaux. En 1990, près de 70% des communes insulaires ne possédaient pas de station d’épuration et les stations existantes présentaient presque toutes des défauts de fonctionnement. L’impact des rejets, peu sensible en hiver, provoque, en été, des dangers pour les eaux de baignade. La concentration des matières organiques peut déboucher, là aussi, sur des modifications sensibles de la faune et de la flore. On retrouve un processus voisin dans le cas de l’exploitation des gravières. En plus de la défiguration du site, on assiste à une dégradation de la qualité biologique. Ralentissement du courant et mise en suspension de particules minérales occasionnent, aussi, en période chaude un déficit d’oxygène. La « remise en état » du cours d’eau après exploitation est trop souvent incomplète ou inexistante. On en a des exemples frappants sur le Golo, le Tavigno, la Gravona ou le Tagnone. En conclusion de leur étude, Paul Franceschi et Antoine Orsini, affirment que si les ressources en eau existent, elles sont mal exploitées. L’absence du schéma général de développement est un handicap dans la course à la maîtrise de l’eau. Si une politique de construction de grands barrages hydroélectriques est défendable, la multiplication des projets de micros centrales est inquiétante pour l’avenir des rivières de Corse. Ils considèrent enfin que le problème de l’irrigation est devenu crucial. La mise en place de réserves basses, écrivent-ils, semble indispensable. L’actuel problème de la plaine orientale, que l’on retrouve aussi à Porto Vecchio et dans le Taravo montre qu’il est urgent de maîtriser l’eau. L’afflux touristique estival et jusqu’ici essentiellement côtier pose, lui, un problème d’eau potable qu’il faudra désormais résoudre le plus rapidement possible.

Jean-Noël Colonna

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