Au plan politique, pouvons-nous taxer les Italiens d’égoïsme, d’irresponsabilité ou de coupable résignation ? Qu’avons nous fait de mieux que nos voisins en mai et juin derniers ?
Il est rare que je me hasarde sur le terrain purement politique. Je me sens plus à l’aise dans le commentaire des choses de la vie de mes semblables. Pourtant, j’ai très envie de vous parler des récents choix politiques de nos voisins transtyrrhéniens. Vous le savez, ces derniers ont, ces jours-ci, consterné beaucoup de gens raisonnables qui s’imaginent que fixer le destin des pays, des sociétés et des hommes, doit avoir pour priorité des comptes publics équilibrés, le règlement d’intérêts bancaires exorbitants et le versement annuel de dividendes à des actionnaires toujours plus gourmands. Ce qui vaut à l’Italie d’être aujourd’hui jugée décadente et ingouvernable. Mais la plupart des Italiens s’en fichent à juste raison car ils en ont vu bien d’autres. Depuis des siècles, qu’ils soient natifs de Lombardie ou de Sicile, de Toscane ou des Pouilles, de Vénétie ou de Calabre, ils ont vu passer l’Histoire, les envahisseurs, les occupants, les tyrans, les usurpateurs, les protecteurs et les libérateurs, en restant eux-mêmes et en ne comptant que sur eux-mêmes. S’accommodant avec malice de ceux qui voulaient les dominer, leur donner des leçons ou faire leur bonheur, ils se sont adaptés aux évolutions du monde en usant de gouvernances qui leur sont propres et dont ils maîtrisent à la perfection les spécificités et les subtilités. Et, aujourd’hui comme hier, peu leur chaut que l’on s’agace de leur supposée insouciance, de leur prétendue impéritie ou de leur apparente prodigalité. Les Italiens savent qu’ils sont initiateurs et porteurs de plus de 25 siècles de civilisation occidentale et que l’avenir de l’Europe ne peut se construire sans eux.
Une digue de plus en plus fragile
Aussi, qu’Angela Merkel ou David Cameron veuillent leur imposer des critères économiques et sociaux frisant le caporalisme ou le sadomasochisme, les Italiens le refusent. 30% d’entre eux ont voté Silvio Berlusconi et la Lega Nord qui représentent un refus de l’Etat fort, un rejet des contraintes budgétaires exorbitantes et une tradition du « Italia farà da sé ». 25% ont opté pour Beppe Grillo, un saltimbanque qui se déplace en caravane et dénonce leurs maux en utilisant leurs mots. Un peu plus de 30% ont opté, sans enthousiasme et sans la moindre illusion, par habitude ou fidélité, en faveur de la gauche fade de Pier Luigi Bersani qui n’a pour projet que de gérer le libéralisme en limitant les dégâts économiques et sociaux. Mais pouvons-nous pour autant taxer les Italiens d’égoïsme, d’irresponsabilité ou de coupable résignation ? A mon sens, non ! Qu’avons nous fait de mieux que nos voisins en mai et juin derniers ? En portant au pouvoir un « Moi, Président » et ses amis qui promettaient de sauvegarder la « modèle français », dénonçaient « la finance » et ménageaient la chèvre libérale et le chou social-démocrate, nous, l’électorat de la Douce France, avons au fond voté un peu pour Berlusconi, Grillo et Bersani. De plus, davantage que les Italiens, nous avons rejeté les discours de la vérité et de la rigueur. En effet, François Bayrou qui usait du « parler vrai » a recueilli un pourcentage de voix inférieur à celui de Mario Monti, le « père la rigueur » italien. Enfin que dire de nos votes à deux chiffres pour une Marine le Pen ou un Jean-Luc Mélenchon ? En réalité, seule la Cinquième République qui nous met à l’abri de l’absence de majorité et rend difficile l’avènement des extrêmes, nous permet de paraître plus raisonnables et rationnels que les Italiens.
Alexandra Sereni