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Débat institutionnel : Retour aux tomahawks ?

jeudi 6 décembre 2012, par Journal de la Corse

Le consensus jugé possible à partir des travaux de la Commission Chaubon et des échanges ayant eu lieu lors des Ghjurnate di Corti, pourrait bien ne jamais voir le jour.

Le dossier institutionnel revient au premier plan de la vie politique. Dans quelques jours, les déclarations et les réactions des uns et des autres sur ce sujet, auront fait oublier les venues de Manuel Valls et Christiane Taubira. Malheureusement, elles relativiseront aussi la nécessité de se mobiliser pour traiter la criminalité organisée. D’ailleurs, cela ne changera pas vraiment grand-chose. Nos élus et la plupart d’entre nous avons d’ores et déjà manifesté peu d’empressement à saisir l’occasion de ces visites, pour initier une dynamique de salut collectif, et ainsi inciter les ministres à ne pas oublier, dès leur départ, leurs engagements. La réalité est donc tristement cruelle. Une fois de plus, nous préfèrerons nous chamailler sur fond de revendication ou de refus de nouveaux pouvoirs, que d’assumer nos devoirs collectifs, citoyens et civiques. Nous ne sommes sans doute pas encore assez mûrs ou désespérés pour affronter et combattre notre réalité de peuple gangréné par le vénéneux mélange du nombrilisme, de la proximité, du clientélisme, de la culture du rapport de force et de l’appât du gain. Le vent est donc au retour d’échanges vifs et de positions clivantes sur ce que devrait être le cadre institutionnel. Et le consensus que certains espéraient possible à partir des travaux de la Commission Chaubon, et aussi des échanges constructifs ayant eu lieu lors des Ghjurnate di Corti, pourrait bien ne jamais voir le jour. En effet, depuis la fin de l’été, le contexte politique ne se prête plus à la concorde. Des lignes ont bougé aux plans local et national. La nouvelle configuration politique se révèle moins constructive : Paris ne réunira pas de Congrès pour faire évoluer nos institutions et des haches de guerre que l’on aurait pu croire enterrées depuis la consultation populaire de juillet 2003, sont à nouveau brandies.

Fêlure à gauche

Parmi ces tomahawks, on peut noter ceux de Nicolas Alfonsi et Femu a Corsica, et celui encore tout neuf de Jean Zuccarelli. Le sénateur de la Corse du sud s’affiche particulièrement mordant dans les colonnes d’une récente parution de Corse-Matin. Il rappelle que Paul Giacobbi avait déclaré, après la consultation populaire de juillet 2003, qu’il ne fallait plus envisager de réformes institutionnelles « pendant 20 ans » et que la majorité territoriale de gauche était liée par un « accord politique » mettant entre parenthèses toute réforme institutionnelle. Il ajoute qu’une évolution de ce genre « ne correspond à aucune demande réelle de la population, préoccupée surtout par la crise économique et sociale ». Il signifie que « si des compétences nouvelles peuvent être octroyées et améliorer le statut actuel, toute réforme constitutionnelle est inutile ». Il fustige les hypothèses d’évolution nécessitant une telle réforme : « Le concept de citoyenneté est seulement utilisé à l’article 77 concernant la Nouvelle-Calédonie par référence aux Accords de Nouméa et de Matignon, dans la perspective d’un référendum pour l’indépendance (…) Je me réjouis que de tous les groupes de la majorité régionale les élus de la gauche républicaine aient été les seuls à voter contre le statut de résident et la coofficialité. » Enfin, il écarte toute idée de consensus : « Il n’est nécessaire que pour les nationalistes car ils savent que si l’opinion y adhère, une réforme constitutionnelle sera plus facile (…) Par quel miracle une opinion coupée en deux lors du référendum de 2003 serait-elle devenue aujourd’hui si unanime ? ». La fêlure à gauche clairement révélée par ces propos a été confirmée, également par ceux de Jean Zuccarelli. Certes avec davantage de tact et de modération, le président de l’ADEC a fait connaître qu’il ne jugeait pas opportune, à ce jour, une évolution institutionnelle majeure : « Dans la situation que nous traversons, il faut laisser de côté les débats institutionnels ou constitutionnels qui divisent. Qui peut croire que c’est une priorité pour les Corses qui font face au chômage, aux difficultés sociales et à la violence ? »

Hollande taxé d’immobilisme

Quelque heures avant que Manuel Valls et Christiane Taubira foulent du pied le sol insulaire, le groupe Femu a Corsica a lui aussi agité son tomahawk. Les élus autonomistes ont exprimé leur mécontentement d’un « temps dérisoire imparti aux échanges avec les élus de la CTC » et fait savoir leur crainte « que ne puisse s’instaurer un véritable dialogue, autour des véritables enjeux. » En ce sens, ils ont reproché à François Hollande son immobilisme : « Les seuls propos publics prononcés par le Président de la République et le Gouvernement concernant la Corse l’ont été au lendemain de la série d’assassinats qui a frappé l’île (…) Pour l’Etat, le problème se limite à une réponse policière et judiciaire. Cette approche, qui alterne mutisme prolongé et effets d’annonce médiatique, ne peut tenir lieu de politique. De même, arguer d’une situation de crise liée au grand banditisme pour refuser de prendre en compte l’aspiration largement partagée à une évolution politique et institutionnelle, ne peut conduire qu’à l’impasse. » D’autre part, les élus autonomistes ont fait savoir qu’ils n’entendaient pas se contenter d’évolutions mineures : « La question est donc claire : l’Etat accepte-t-il de s’engager dans la recherche d’une solution politique globale, qui passe notamment par une réforme constitutionnelle donnant à la Corse et à son peuple les moyens de se développer et de s’épanouir ? » La Corse n’a donc pas fini de représenter un facteur de migraine pour Paris. Cependant, pour bien faire et motiver la capitale dans le sens du changement, il n’est point besoin d’être 51 et brandir le tomahawk ne signifie pas forcément vouloir ou devoir s’en servir.

Pierre Corsi

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