Une justice ordinaire et sereine, n’exclut pas pour autant le recours à des moyens exceptionnels d’investigation, d’élucidation et de protection des témoins.
Il aura fallu l’assassinat d’Antoine Sollacaro - la quinzième exécution sommaire depuis le débit de cette année après des dizaines d’autres réalisées les années précédentes - pour que l’Etat sorte enfin de sa léthargie. A l’issue du Conseil des ministres hebdomadaire, le chef de l’Etat a usé des adjectifs « insupportable » et « inacceptable » pour qualifier ce sanglant événement. Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, et la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, ont pour leur part dénoncé « la mafia », « l’affairisme » et « le grand banditisme » sévissant en Corse, et le premier nommé a déclaré vouloir « s’attaquer à cet affairisme, ces réseaux, ces hommes qui tuent ». Quant au Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, il a annoncé la mise en œuvre d’une « directive de politique pénale spécifique » comparable à celle adoptée récemment pour la région marseillaise, demandé « le renforcement de la coordination opérationnelle entre les services de police et de justice. » et ajouté que les services fiscaux seront mis à contribution. On notera aussi que la plupart des élus insulaires ont exigé de l’Etat qu’il assume son devoir régalien de protection des personnes et des biens. Il était temps ! Alors que durant des décennies, dès qu’une « bombinette » pulvérisait une vitrine, les déclarations fusaient pour clouer au pilori la violence, et que cela mettait en branle la police et la justice, l’Etat semblait rester indifférent aux passages à l’acte des tueurs, à la montée en puissance du grand banditisme et à de nombreux cas d’investissements ou d’enrichissements suspects. Quant à la classe politique locale, elle se gardait bien de le tirer par la manche pour le ramener à ses devoirs. Elle se taisait, s’en tenait à des vœux pieux de retour à la raison ou se perdait en digressions au sein d’une commission « Violences ». Seuls parmi les personnalités appartenant à des partis nationaux, le président communiste de l’Assemblée de Corse Dominique Bucchini et le socialiste Vincent Carlotti avaient vraiment demandé une intervention énergique de l’Etat. Chez les nationalistes, la discrétion restait de mise de peur d’un retour à « l’ère Bonnet ». Après les assassinats de Jo Sisti et de son beau-frère, au printemps dernier, une réaction avait pourtant semblé se dessiner et annoncer un processus de mobilisation générale. Il s’était agi de l’appel à manifester contre la violence lancé par les associations des maires de la Haute-Corse et de la Corse-du-Sud. Les élus insulaires avaient été appelés à se rassembler le 23 juin à Corte. Mais aussitôt cette appel lancé, on avait pu constater une gêne.
L’exemple des années 1930
Alors que, dans le Fium’Orbu, les assassinats, les destructions de biens et les intimidations à l’encontre des élus s’étaient multipliés, le conseil municipal de Ghisonaccia avait laissé apparaître une retenue dans son appel à la fermeté : « Notre propos, s’il demande avec détermination justice et vérité, ne peut être assimilé à un appel délibéré à une politique de répression, laquelle a pu produire aussi dans un passé récent des effets dévastateurs. » Le président national de la Ligue des droits de l’Homme, tout en appelant de ses vœux une intervention de l’Etat, avait pour sa part dénoncé une « situation d’exception en Corse » du fait de l’action qu’il jugeait entachée d’arbitraire de la JIRS, Malgré le choc émotionnel et politique provoqué par l’assassinat d’Antoine Sollacaro, on retrouve aujourd’hui la gêne d’il y a quelques mois. Réunis en assemblée générale, les avocats du barreau d’Ajaccio ont demandé que la JIRS de Marseille soit dessaisie du dossier. Cette gêne qui semble renvoyer dos-à -dos le crime et ceux ayant en charge de le combattre, montre combien la perte durable de confiance en l’Etat provoquée par les agissements du préfet Bonnet et l’action quelquefois surmédiatisée et précipitée de la JIRS, constitue une réalité bien au-delà du camp nationaliste et rend plus difficile la lutte contre le grand banditisme. Le discrédit de l’Etat ou du moins le manque de confiance que lui voue une partie de la population, favorise en effet l’action criminelle en coupant la Justice, la Police et la Gendarmerie d’une partie non négligeable de la population. Ce qui rend nécessaire une justice ordinaire et sereine dotée des moyens d’agir efficacement, respectant les droits de la défense et contribuant à apaiser la société. Mais ce qui n’exclut pas pour autant le recours à des moyens exceptionnels d’investigation, d’élucidation et de protection des témoins. Il existe d’ailleurs un précédent qui a démontré l’efficacité du recours à des moyens exceptionnels. Au début des années 1930 du siècle dernier, les bandits qui tenaient le maquis ont été « éliminés » par une intervention ferme et lisible de l’Etat qui, en recourant à bon escient à des moyens exceptionnels, a su gagner l’appui d’une population qui, auparavant, par sympathie ou par peur, apportait un soutien aux fugitifs. Tout commença par l’assassinat, en 1931, d’un touriste et une campagne médiatique qui poussa Paris à réagir, et tout se termina par l’envoi d’un corps expéditionnaire de voltigeurs qui, assisté de guides corses, ratissa le maquis et le nettoya de ses indésirables occupants. Ce précédent indique le chemin à suivre aujourd’hui.
Pierre Corsi