L’objectif avoué de France trait d’union Corse est d’empêcher le consensus réformiste dont voudraient pouvoir se prévaloir, à Paris, les partisans d’une évolution institutionnelle et constitutionnelle.
Les uns considéreront qu’il s’agit d’une bonne nouvelle. D’autres estimeront que cela relève d’une nostalgie. Il est possible aussi que se dessine également une opinion jugeant qu’un malheur n’arrive jamais seul, et que la conférence de presse de l’association France Trait d’union Corse venant après une « nuit bleue », ramène la Corse aux sombres heures des années 1980 où les antinationalistes et les clandestins occupaient quotidiennement le champ politique. Il faut dire qu’à première vue - car se référant aux principes inscrits dans les textes officiels et même constitutionnels d’une France « une et indivisible » et d’une Corse en étant « partie intégrante » - France trait d’union Corse ressemble idéologiquement beaucoup à la défunte association Corse Française Républicaine, que l’on appelait communément « la CFR ». Rappelons que cette dernière s’était constituée, au début des années 1980, à partir d’un refus de la violence clandestine et d’un attachement viscéral à une République rejetant la reconnaissance institutionnelle des particularismes locaux, y compris aux plans linguistique et culturel. Sans doute initiée par quelques élus et aussi des services de l’Etat, la CFR avait néanmoins, à ses débuts, représenté un courant populaire avec lequel il convenait de compter. Si elle ne faisait pas recette chez les jeunes, elle pouvait se targuer d’être représentative de nombreux Corses de l’île et de l’Extérieur, et d’une capacité de mobiliser des milliers de manifestants. Elle disparut complètement au début des années 1990 et il fallut attendre le début des années 2000, pour que renaisse une structure se réclamant d’une Corse inscrite dans le droit commun d’une France « une et indivisible ». Intitulée « Pour la défense des droits de la Corse dans la République », cette structure s’effaça après la consultation populaire de juillet 2003, ayant fortement au « Non » des électeurs, aux orientations portant modification de l’organisation institutionnelle de la Corse.
Contre les dérives et les illusions
La classe politique insulaire semblant gagnée par la fibre identitaire, la démarche de France trait d’union Corse a de quoi surprendre. Or, il semble bien que ce soit le consensus ambiant, plus ou moins corsiste, qui ait incité à la création de l’association. Celle-ci paraît vouloir moins combattre le « séparatisme » et ses formes d’action violente, qu’elle juge affaiblis et discrédités, que les « dérives » et « illusions » d’un « politiquement correct », qu’elle accuse de s’aligner sur un « nationalisme soft ». Lors de leur récente et première rencontre avec la presse, les membres de l’association se sont d’ailleurs qualifiés de « résistants à la dérive », voulant ainsi insister sur le fait que la Corse était, selon eux, davantage menacée par une discrète évolution de nature à la faire sortir du droit commun républicain, que par une flamboyante poussée nationaliste. Pour eux, Pierre Chaubon, chargé de travailler à un projet de réforme institutionnelle pouvant avoir des incidences constitutionnelles, et Pierre Ghionga, devenu le chantre d’une co-officialité Langue française / Langue corse, sont plus dangereux que Jean-Guy Talamoni et Paul-Félix Benedetti. Ils les tiennent en effet pour des apprentis-sorciers qui feront « sortir un peu plus la Corse du droit commun, en tenant compte des habituelles exigences des nationalistes ». Aussi, selon eux, la citoyenneté corse relève d’une « rupture d’égalité des citoyens devant la loi » et la co-officialité implique une inacceptable obligation. C’est plus que clair : pour France trait d’union Corse, rendre obligatoire la langue corse dans la vie publique reviendrait à créer de la discrimination et de l’exclusion rendant impossible le recrutement et la mutation vers la Corse de fonctionnaires n’étant pas corsophones.
Le précédent de juillet 2003
Pour se faire entendre et convaincre, France trait d’union Corse a d’ores et déjà entrepris de rencontrer des élus insulaires, des hauts fonctionnaires et a même été reçue par un collaborateur du président de la République. Désormais, elle est résolue à participer au débat public à travers les médias et aussi à partir d’un site internet quelle présente ainsi : « Le site France-Corse entend, à la faveur de la technologie du Net devenue incontournable, être l’expression publique d’un courant de pensée qui se réclame de l’indéfectible appartenance de la Corse à la Nation française. » Son objectif avoué est d’empêcher le consensus réformiste dont voudraient pouvoir se prévaloir, à Paris, les partisans d’une évolution institutionnelle et constitutionnelle. Pour ce faire, ses adhérents escomptent bien mobiliser une « majorité silencieuse » qu’ils jugent peu représentée à l’Assemblée de Corse. Ce qui les conduit d’ailleurs, à dénoncer une majorité territoriale qu’ils taxent d’alignement sur la « stratégie séparatiste » et aussi de reniement car, lors du scrutin territorial de mars 2010, cette majorité n’aurait pas été mandatée pour élaborer un projet institutionnel. Il est donc évident que se fondant sur le précédent du succès inattendu du Non à l’issue de la consultation populaire de juillet 2003, France trait d’union Corse veut faire se répéter l’Histoire. Convaincue du bien-fondé et de l’excellence de ce qu’elle considère être le modèle républicain, l’association a bel et bien l’ambition de mettre en échec les réformistes.
Pierre Corsi