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Chute de la Corse : Avec ou sans sermon

jeudi 15 novembre 2012, par Journal de la Corse

L’Assemblée de Corse, aux heures des sessions, ressemble à un théâtre dont les acteurs jouent une pièce presque achevée et dont le dernier acte pourrait bien avoir pour titre « La chute ».

Tout comme l’était devenue Rome avant qu’elle soit prise par les Wisigoths en 410, notre île est une société reposant sur le clientélisme et l’individualisme qui, méprisant les lois et les hommes, est vouée au déclin et à la disparition mais n’en a pas conscience. Le Sermon sur la chute de Rome qui a valu le prix Goncourt à Jérôme Ferrari, est bien plus qu’une oeuvre littéraire, il est une représentation allégorique de cette Corse finissante que nous fabriquons tous les jours en refusant de nous remettre en cause et de nous unir autour d’un intérêt collectif. En effet, les deux personnages centraux, à l’aube de leur âge adulte, croient en la force des singularités corses, et s’imaginent pouvoir y trouver les fondements immuables de leurs vies et de leurs ambitions. Mais, quelques années plus tard, après avoir abandonné leurs études et pris la gérance d’un bar de village, ils découvrent que leur île est un monde qui s’achève dans l’ignorance de sa propre fin et sans le cri de souffrance qui pourrait représenter le tocsin salvateur prévenant de la décadence. « Est-ce ainsi que meurent les empires, sans même qu’un frémissement se fasse entendre ? » interroge et souligne d’ailleurs Jérôme Ferrari dans une ultime parabole. L’hémicycle de l’Assemblée de Corse, aux heures des sessions, ressemble de plus en plus fréquemment à ce bar de village. Il est un théâtre dont les acteurs jouent une pièce presque achevée et dont le dernier acte pourrait bien avoir pour titre « La chute ». On a encore pu le vérifier lors de la dernière session. Alors qu’il eût fallu de la cohésion et du réalisme pour appréhender les problèmes et les difficultés, les conseillers territoriaux ont affiché de la division et de l’incapacité à sortir d’un cadre mortifère.

Un discours eût pourtant suffi

Concernant la réponse à apporter à la violence criminelle qui ensanglante notre île et hypothèque un peu plus chaque jour les chances d’y voir débarquer de véritables porteurs de projets et de vertueux investisseurs, le coche a une fois encore été raté. Seul Dominique Bucchini s’est hissé à la hauteur des enjeux. Affirmant refuser la banalisation et déplorant les clichés des médias nationaux, le Président de l’Assemblée de Corse a demandé au gouvernement d’apporter des réponses policières et judiciaires efficaces, d’informer la population qu’il entendait agir avec détermination et d’offrir une perspective en termes de valeurs et de développement. Il a aussi rappelé que la classe politique corse avait un rôle actif à jouer dans la lutte contre la criminalité et pouvait le faire en engageant, dans le cadre de ses compétences, des actions pour réduire la spéculation immobilière, combattre la précarité et stigmatiser le port des armes. Mais, alors que ce discours aurait pu être le seul et représenter la voix d’une Corse unie aspirant au respect de la vie humaine, à l’ordre et à la force équitable sinon juste de la loi, le triste spectacle de la division a été donné. Un élu nationaliste a cru devoir intervenir pour évoquer l’assassinat et honorer la mémoire d’Antoine Sollacaro. Ce qui était concevable et recevable. Mais il est ensuite revenu sur la Cour de sûreté de l’État, les cours d’assises spéciales, la juridiction interrégionale et la période Bonnet, ce qui n’était pas indispensable, et a incité les élus de la Gauche républicaine à quitter l’hémicycle, ce qui n’était pas non plus indispensable. Ainsi, comme l’avait été celle de la Rome décadente face aux guerriers germaniques, la classe politique corse s’est avérée divisée face aux barbares de la grande criminalité.

Visiteurs et résidents pénalisés

Confrontée à la question du service public maritime, la classe politique territoriale ne s’est pas montrée plus unie et n’est pas apparue capable de réformer un système entropique. D’une part, la majorité régionale et l’opposition ont volé en éclats. Seule une majorité relative (22 voix sur 51) s’est dégagée pour adopter les OSP (obligations de service public) devant figurer aux cahiers des charges opposables aux compagnies maritimes. Côté majorité territoriale, le Front de gauche a voté contre et Corse social démocrate s’est abstenu. Côté opposition, les nationalistes ont choisi la non-participation et la droite s’est partagée entre votes « pour » et abstentions. D’autre part, il n’a pas été possible de trouver un consensus prenant en compte l’intérêt collectif corse et celui des passagers. Les considérations se rapportant aux intérêts des compagnies et aux enjeux locaux, à savoir préserver les dessertes de six ports, ont une fois encore prévalu. On a même eu droit à un beau pied-de-nez à l’appel à la concurrence. En effet, une clause de la délégation de service public accordera des tarifs-plancher à la compagnie concessionnaire : 250€ aller-retour pour un passager avec cabine et voiture ; 450€ aller-retour pour 3 personnes en cabine avec voiture ; 75€ par mètre linéaire. Bien entendu, cette clause pénalisante pour les résidants et les touristes a été présentée comme positive car censée sauvegarder les emplois de quelques centaines de marins et de sédentaires. Mais ces emplois pourraient être tout aussi bien ou même mieux conservés si le service public s’avérait moins coûteux à assurer - par exemple en réduisant le nombre de ports insulaires à desservir - et si une des compagnies redéployait enfin son activité.

Pierre Corsi

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