Le successeur du préfet Leclair est Jean-François Lelièvre, ancien de la DNAT ensuite passé à la DCRI. Je l’ai connu en une seule et unique occasion. En décembre 1998, le juge Bruguière a donné l’ordre de m’interpeller dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat du préfet Erignac. J’habitais alors Montreuil. À six heures du matin, on sonne. Réflexe de vieux militant, à moitié endormi, je lance à mon épouse : « Ce sont les flics ». Et en effet, plusieurs hommes en armes se présentent et poussent la porte pour pénétrer vivement dans ma demeure. LE premier d’entre eux est un grand type qui se présente : « Commissaire Lelièvre de la Dnat. Nous allons perquisitionner chez vous sur commission rogatoire du juge Bruguière. » La perquisition, très correcte par ailleurs, ne donne rien. « Nous sommes obligés de vous emmener rue des Saussaies ». Et nous voilà partis à travers Paris toute sirène hurlante moi coincé entre deux grands gaillards qui baillent toutes les cinq secondes. Rue des Saussaies, je sors du véhicule et au moment d’entrée je me tourne vers le commissaire Lelièvre. » Vous savez que c’était le siège de la Gestapo. » Lelièvre s’arrête et me regarde. » Vous vous allez rester six jours ici mais nous cela fait des années qu’on est ici et je vous assure qu’on en bave. » « Le commissaire Marion ? » Il souffle avec un air désespéré. « Ah le commissaire Marion ! ». L’interrogatoire commence. J’ai été arrêté parce que la veille j’ai téléphoné au local STC pour assurer le syndicat de toute ma solidarité après l’arrestation de son responsable Etienne Santucci sur ordre du préfet Bonnet. Or j’ai eu au téléphone, sans le savoir, un militant indépendantiste qui est surveillé. Cela a suffit à faire naître le soupçon dans le cerveau paranoïaque du juge Bruguières qui suit alors la « piste intellectuelle » suite illogique de la piste agricole. Le juge a cru déceler une similitude entre le style que j’ai utilisé pour préfacer le dictionnaire des Culioli corsu-francese et le communiqué des anonymes qui avait revendiqué l’assassinat du préfet. L’interrogatoire dure deux heures puis le commissaire Lelièvre et deux de ses hommes s’enferment avec moi dans le bureau. « Maintenant qu’on a terminé ces bêtises, me lance Lelièvre, dites-moi sans trahir de secret ce que vous pensez de la situation en Corse. » Je leur dis qu’ils vont droit au mur, que les arrestations en masse exaspèrent la population. À ce moment la porte s’ouvre et le commissaire Marion paraît en hurlant : « Alors ça donne quoi ! ». Du tac au tac, je lui réponds : « Vous avez vraiment du temps à perdre pour venir m’arrêter. » Lelièvre répond : « Ça n’a rien donné. On va le relâcher. » Marion me regarde furieux et claque la porte. Lelièvre a un geste de la main et me dit : « Ne vous en faites pas. C’est un gueulard. Ici on le surnomme Eagle four, y gueule fort. Mais qu’est-ce qu’on en chie ! » Grommellements d’approbation de ses subordonnées. Tel était le commissaire Lelièvre à l’époque auréolé d’une réputation de bon flic, en désaccord avec les méthodes du commissaire Marion. Quelle sera son action en Corse ? Vidaremu.
GXC