Gain de cause a encore été donné à une conception étriquée de la République voulant que les langues régionales soient contraires aux principes républicains, et préconisant implicitement l’uniformisation des peuples et l’écrasement des cultures.
Quand il a dévoilé son programme présidentiel au Bourget en février 2012, le candidat François Hollande a attribué le numéro 56 à l’engagement de ratifier la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Il a confirmé cet engagement, en septembre 2012 dans une lettre adressée à Alain Rousset, président de l’Association des Régions de France, qui l’avait interpellé sur ses intentions en faveur de la diversité linguistique. Il a écrit noir sur blanc : « Ainsi que je m’y suis engagé, je ferai ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Je veillerai à ce que tous les moyens soient mis en œuvre pour définir un cadre légal clair et stable pour toutes les langues régionales ». Ces prises de position représentaient une réelle avancée mais n’avaient rien de spectaculaire. Et ce, au moins pour quatre raisons. D’abord, à ce jour, la France reste, par rapport aux autres pays européens, très en retard dans le domaine de la reconnaissance des droits linguistiques. Ensuite, elle est un des rares pays membres du Conseil de l’Europe, qui en compte 47, à ne pas avoir ratifié la Charte. Mais également, si la France ratifiait la Charte, cela représenterait un progrès très modeste, car la charte comprend une série de mesures que chaque Etat est libre d’adopter ou non, et également de mettre en œuvre ou non. Ce qui signifie que même si la Charte était ratifiée, rien ne contraindrait la France à se fixer des objectifs et un calendrier de mesures concrètes. Dernièrement, François Hollande a fait savoir que la Charte ne serait pas ratifiée. Le président de la République a expliqué n’avoir pas changé d’avis sur le fond, mais qu’une révision de la Constitution pour permettre la ratification serait impossible du fait que, selon le Conseil d’Etat, donner des droits à des groupes particuliers irait contre le principe d’unicité du peuple français. Une fois encore, gain de cause a été donné à une conception étriquée de la République voulant que les langues régionales soient contraires aux principes républicains, et préconisant implicitement l’uniformisation des peuples et l’écrasement des cultures. Pour tenter de minimiser la portée de l’annonce présidentielle, certains font valoir qu’Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture et de la Communication, a mis en place un comité censé préparer la rédaction d’une loi qui rassemblerait des dispositions en faveur des langues régionales dans l’éducation, les médias et la culture.
Le désert des promesses non tenues
Le problème est que la réalité concrète, démontre l’inconsistance ou l’impuissance de la ministre. Ainsi, le projet de loi portant refondation de l’école défendu par le ministre de l’Education, ne comporte aucune mention de dispositions relatives à la nécessité d’enseigner les langues régionales. Quant aux premiers textes relatifs à l’Acte 3 de la décentralisation, ils ne font aucunement part d’une obligation ou d’une possibilité pour les régions ou les départements de dégager des moyens d’enseigner les langues régionales. Bien entendu, les défenseurs des langues régionales se sentent trahis. Ils n’ont pas tort. Alors que l’engagement numéro 56 relevait déjà d’un pâle visage donné à la diversité linguistique, ils ont le désormais le sentiment que l’auteur de cet engagement use d’une langue fourchue. Chez nous, beaucoup de ceux qui étaient venus l’entendre lors de son passage à Ajaccio en tant que candidat, le pensent sans doute encore plus fort car il avait déclaré : « La langue corse n’est pas un danger. La culture corse plonge ses racines dans l’Histoire. Nous aurons la capacité de vous laisser faire vivre votre langue. » Cela étant, les réactions n’ont guère été virulentes. La droite a déploré mais, dans ses rangs, seul Laurent Marcangeli a vraiment tiré à boulet rouges. Les nationalistes ont certes fait entendre leur mécontentement et appelé à la mobilisation, mais ils n’ont pas sonné la charge. Quant à la gauche, elle est quasiment restée coite. Faut-il blâmer ce manque relatif de pugnacité ? Pas vraiment. Accoutumés aux reniements parisiens, les élus corses n’ont sans doute pas jugé utile de perdre leur temps à vociférer dans le désert des promesses non tenues. Ils ne deviendront blâmables que s’ils se montrent incapables de s’unir autour de la position du président du Conseil exécutif, Paul Giacobbi, formulée en ces termes : « Je proposerai au gouvernement, que sur ce point comme sur d’autres, on saisisse l’occasion de la révision de la Constitution qui va avoir lieu pour proposer cela. Le gouvernement et le Parlement en décideront. Mais nous, il est très important que nous manifestions notre adhésion large à cette idée. » Cette proposition a le double mérite de ne pas renvoyer la balle dans le camp d’un Etat qui ne veut manifestement pas jouer le jeu, et de conduire les élus corses à prendre leurs responsabilités. A l’issue du vote, chacun en saura incontestablement un peu plus sur la position réelle de chaque groupe politique et même de chaque conseiller territorial concernant la langue corse et quelques autres sujets ayant une incidence sur l’intérêt collectif insulaire. Ce qui, à moins d’un an des élections municipales et moins de deux ans des élections territoriales, ne manquera sans doute pas d’intéresser les électeurs.
Pierre Corsi