Les élections législatives du 25 novembre ont conforté les partis catalans se réclamant de l’indépendance. Avec un enseignement majeur : désormais le nationalisme peut aussi fleurir à gauche.
La coalition nationaliste conservatrice Convergència i Unió (CiU) qui dirige la Generalitat de Catalunya (région autonome catalane) depuis 2010 avec une majorité relative, escomptait obtenir la majorité absolue en surfant sur une montée du nationalisme. Elle a au contraire perdu des voix et des sièges et devra, en janvier prochain, rechercher des alliances formelles ou tacites pour gouverner. Certains médias parisiens se sont alors empressés de souligner un recul des indépendantistes. Or la réalité est tout autre. Certes CiU a essuyé un échec. En revanche, le nationalisme et la volonté de couper les ponts avec l’Etat espagnol ont gagné en puissance. L’électorat catalan a en effet laissé apparaître que, pour le moins, il aspirait à l’organisation d’un référendum portant sur l’autodétermination. La droite et la gauche espagnole refusent cette évidence et l’attribuent à un jeu pervers de CiU. Ils reprochent à la coalition nationaliste d’instrumentaliser le fait que la Catalogne soit la plus riche des 17 régions d’Espagne. (Avec cependant une dette de 47 milliards d’euro refilés à Madrid) Ils l’accusent d’avoir imposé d’énormes réductions budgétaires aux services publics catalans et d’avoir affirmé que ces coupes sombres ne seraient pas intervenues si la Catalogne avait joui d’une plus grande autonomie ou avait été un Etat indépendant. Enfin, ils soulignent que CiU dit, à qui veut l’entendre, que la riche Catalogne paie pour les fonctionnaires de Madrid et les pauvres d’Andalousie. La gauche espagnole - essentiellement représentée en Catalogne par le Parti Socialiste de Catalogne (PSC), facette locale du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) - en vient même à comparer l’indépendantisme catalan à celui de la Lega Nord per l’Indipendenza della Padania (Ligue du Nord lombarde), lui reprochant de faire le jeu de la droite en divisant les classes populaires espagnoles. Cette approche n’a rien d’étonnant car, dans la tradition de la gauche européenne bien pensante, le nationalisme ne peut être, sur le Vieux Continent, que l’expression d’un populisme ou d’une xénophobie contribuant à diviser les travailleurs ou à fragmenter des Etats censés représenter des instruments de régulation économique et sociale. Il aura fallu attendre l’éclatement de l’ex-Yougoslavie et des pays de l’ancien bloc de l’Est durant les années 1990, pour que les « bonnes » libérations nationales ne soient plus exclusivement africaines ou asiatiques.
Un champ politique catalan
Mais l’argumentation des partis espagnols, et plus particulièrement celle du PSC, est aujourd’hui battue en brèche. En effet, lors des élections législatives du 25 novembre, la poussée nationaliste n’a pas été portée par CiU, mais par la gauche catalane. Certes CiU a perdu 12 sièges et n’a en définitive obtenu que 50 des 135 sièges que compte le Parlement de Catalogne, les électeurs ne lui ayant pas pardonné d’avoir conduit une politique d’austérité semblable à celle du gouvernement espagnol et d’être impliquée dans des affaires de corruption. En revanche, la poussée de la gauche indépendantiste a fait que près de deux tiers de l’électorat ont voté pour des partis préconisant un référendum sur l’autodétermination. D’une part, la gauche républicaine indépendantiste de Catalogne (ERC) a plus que doublé le nombre de ses sièges passant de 10 à 21. D’autre part, un parti regroupant des écologistes, des féministes ainsi que des militants de la gauche radicale et altermondialiste, et qui a fait campagne en faveur du droit à l’autodétermination et d’un manifeste pour « vaincre la politique dogmatique d’austérité », a enregistré le plus grand succès électoral de son existence en obtenant 13 sièges. Aujourd’hui si on ajoute les 50 sièges de CiU et les 34 sièges de la gauche catalane, la mouvance favorable à l’organisation d’autodétermination compte 84 représentants sur 135 au Parlement de Catalogne. Il est donc avéré que désormais en Espagne - ce qui avait d’ailleurs été en partie vérifié avec le Pays basque à partir des avancées de la gauche abertzale s’ajoutant à la primauté du Partido Nacionalista Vasco (PNV) plutôt conservateur - le nationalisme trouve une base sociale aussi bien à gauche qu’à droite. Il apparaît donc aussi que la revendication indépendantiste doit moins à un rejet de l’Etat espagnol ou des régions pauvres, qu’à l’affirmation d’une conscience nationale dans l’ensemble de la société catalane. Cette évolution qui impose le nationalisme dans l’ensemble du champ politique, est sans doute le signe le plus évident que désormais la voie est ouverte à la constitution, sur des bases démocratiques, d’un Etat catalan. En effet, il devient lisible que, pour les Catalans, l’alternance ne passe plus par des basculements de suffrages entre CiU nationaliste et le Partit dels Socialistes de Catalunya espagnoliste, mais par le choix d’une droite ou d’une gauche catalane. Après la poussée de la gauche abertzale sur fond de victoire du Partido Nacionalista Vasco lors des élections régionales d’octobre dernier au Pays Basque, le succès global des nationalistes catalans est de nature à donner au moins deux idées nouvelles au nationalisme corse. D’une part, il peut lui suggérer que le pluralisme idéologique n’est pas un obstacle à l’expression du sentiment national et qu’il lui est désormais possible de ne plus chercher à faire cohabiter, dans des mêmes structures, des nationalistes de gauche et de droite. D’autre part, il est susceptible de l’aider à se convaincre qu’occuper l’ensemble du champ politique est aujourd’hui réalisable.
Pierre Corsi