Deux drapeaux, l’américain et le corse, flottant au sommet du même mât, pouvait paraître pour le moins surprenant, un peu chimérique aussi si tant est que la chimère soit à même de pavoiser. Ils ont pourtant flotté réellement, quelque part dans le Maryland, un Etat proche de Washington, tout près d’une belle et vaste maison dont on pendait la crémaillère.
Le Maryland, ainsi nommé en l’honneur d’Henriette-Marie de France, fille d’Henri IV et reine d’Angleterre, est baigné par l’océan Atlantique qui le pénètre profondément en de multiples bras de mer (channels) à l’image d’une gigantesque salamandre qui aurait sa tête à plus de cinq cents kilomètres de sa queue. C’est au bord d’un de ces channels que Keith Clampet a élu domicile avec son épouse Marie-Noëlle. Keith est un américain d’origine irlandaise, Marie-Noëlle est une franco-américaine d’origine corse. Ils ont deux fils : Brian et Scott tous deux en âge d’orienter leur vie. Keith est le premier vice-président du groupe Hilton, une multinationale hôtelière qui essaime sur les cinq continents. Cette situation le contraint à bouger encore que l’informatique ait réduit ses déplacements lui permettant de rester chez lui plus que par le passé. Marie-Noëlle garde son indépendance en étant vendeuse dans un magasin de vêtements d’Annapolis, la capitale de l’Etat, et styliste dans une organisation créatrice d’une ligne de bijoux. Ce ne serait pas le cas d’une française dont le mari aurait le salaire et les dividendes d’un puissant capitaine d’industrie. Mais c’est ainsi aux USA où le farniente n’est pas de mise et le travail enrichissant aux deux sens du terme. Ce qui explique, sans doute, le faible taux de chômage. Ce qui explique aussi que certains boulots conduisent à des ascensions spectaculaires. On imagine mal, en France, un garçon de café gravir le plus grand nombre de marches sociales, pour, comme ce fut le cas de Keith, accéder à de spectaculaires sommets. On retiendra également que dés qu’il sort de l’adolescence, peut-être même avant, le jeune américain entame une course au dollar (dollar minute et dollar seconde) qu’il poursuivra jusqu’à sa retraite et au delà. C’est un peu çà l’american way of life. On ne s’étonnera donc pas que cette façon de vivre pousse l’individu à s’améliorer sans cesse pour précisément gagner davantage d’argent afin d’avoir de grosses voitures, de belles maisons et le confort à tous les niveaux. Les voitures de Keith et Marie-Noëlle ne sont pas très grosses mais dotées de gadgets que l’on ne trouve en Europe que dans les berlines haut de gamme. Leur yacht, car ils en ont un, est de dimensions modestes. Il bénéficie cependant d’un système qui le tient hors de l’eau quand il ne navigue pas, ce qui évite les frais d’hivernage et d’entretien. Doit-on mettre un bémol sur tout çà ? Bien sûr, car la pluie de dollars est un rêve, même américain, et il y a comme partout dans le monde des pauvres et des malheureux qui ont à peine le droit de contempler les richesses étalées autour d’eux et surtout pas d’en profiter. Y a t-il des pauvres au Maryland ? Nous ne les avons pas vus. Ils sont sans doute moins nombreux qu’ailleurs si l’on s’en tient au PIB de cet Etat de 5.828 000 habitants qui ne sent vraiment pas la misère. Retour à K.M-N et à leur maison ouverte aux nombreux invités qui ont participé gaiement à son inauguration, bien mangé ( encore que l’on n’ait pas sacrifié à la tradition marylandaise de la soupe aux choux assortie de pommes de terre sautées) et bien bu et dont certains ont eu le privilège d’aller en yacht, sur le même channel, jusqu’à Annapolis, la capitale, en seulement quelques de minutes alors que par la route il faut bien trois quarts d’heure. Et ce n’est pas le patriarche, Charles Balesi, professeur émérite de l’université de l’Illinois et ancien membre de l’assemblée des Français de l’Etranger, père de Marie-Noëlle, de ses deux sœurs Letizia et Serena et de son frère Pascal, qui était le moins heureux. Tout comme l’ami spécialement venu de Corse participer à la fête. On pourrait dire encore plus de l’événement qui était avant tout une réunion de famille aux retrouvailles éblouissantes. Dire, par exemple qu’il faisait bon vivre dans cette résidence au bord d’une eau étonnamment calme pour que les canards puissent y évoluer paisiblement entre deux rayons de soleil venus dissiper l’impression de froid et remonter le moral de ceux pour qui le printemps tout neuf restait encore une illusion. Dire enfin que, la brise ayant repris son souffle, les deux drapeaux se sont remis à flotter de plus belle au cœur du Maryland là où la gigantesque salamandre donne à l’Atlantique une certaine originalité.
Aimé Pietri
(Photos Locket Wood)