Ne pas confondre répression et acharnement
Il est grand temps que l’Etat cesse de renier sa parole et par là même de se déconsidérer. Il devient urgent qu’il respecte le contenu ou l’esprit de ses propres textes ou déclarations.
Le débarquement d’environ 150 membres des familles de militants nationalistes incarcérés sur le Continent, sur le port de Toulon, n’est pas passé inaperçu. Des chants patriotiques, des chasubles jaunes marquées Sulidarità, des drapeaux corses et même un pavillon à la gloire des clandestins, tout était réuni pour que tout badaud toulonnais prenne conscience que le problème corse prenait un peu pied chez lui. Il ne pouvait d’ailleurs qu’être conforté en ce sens par la présence plus que conséquente mais néanmoins « soft » de la police. Comportement qui mérite d’être souligné et qui aura été tout à l’honneur des autorités locales. Les manifestants ont donc pu parcourir sans encombre les deux bons kilomètres représentant la distance entre l’enceinte portuaire et la Tour Royale qualifiée par Sulidarità de « symbole de la répression française à l’encontre du Peuple corse. » Cette construction classée monument historique depuis le 11 avril 1947, chère aux Toulonnais, n’était pourtant pas au départ destiné à nuire aux Corses. Quand en 1513, le roi Louis XII ordonna sa construction à l’entrée du port, sa vocation était d’en défendre l’accès contre toute intrusion d’une flotte ennemie. Ainsi, en 1707, les bâtiments de la flotte anglaise renoncèrent à forcer l’entrée de la rade. En revanche, à partir de la fin des années 1760, des centaines de Corses opposés à la conquête de leur île par la France y furent incarcérés dans des conditions abominables, et beaucoup y périrent. Il convient de noter que le site Web du Ministère de la Défense ne mentionne pas ces faits dans le rappel historique qu’il consacre à la Tour Royale, alors qu’il signale que, durant la Révolution, de nombreuses personnes furent enfermées dans cet édifice et y périrent.
Pourquoi pas Casabianda ?
Symboliquement, l’endroit était donc des plus appropriés pour dénoncer la promesse non tenue par l’Etat de transférer vers des prisons insulaires, les prisonniers condamnés et à ce jour incarcérés sur le continent. Il l’était aussi pour stigmatiser de récentes interpellations ayant visé neuf nationalistes dont deux jeunes femmes ayant des responsabilités au sein de Sulidarità : Maria-Anghjulella Caviglioli, la présidente ; Noëlle Medurio, la déléguée aux familles. On peut juger trop polémique le terme « otages » utilisé pour dénoncer le maintien des quelques 40 prisonniers nationalistes incarcérés dans différentes prisons continentales. On a aussi le droit de considérer que l’Etat est en droit de pratiquer la répression contre une forme d’expression politique - l’action armée clandestine - qui constitue une violation manifeste de la loi et de l’ordre public. En revanche, l’une des manifestantes dont le compagnon est actuellement incarcéré loin de la Corse, avait raison de souligner, avec fermeté et dignité, que celui-ci avait été condamné a une peine de prison et non à la privation de ses liens familiaux. Ce refus de l’acharnement, à ne pas confondre avec celui de la répression, est d’ailleurs partagé par des personnes peu suspectes de sympathie pour les clandestins. Citons les élus insulaires des partis nationaux, y compris ceux de la droite, qui exigent le rapprochement familial des prisonniers nationalistes et qui, à l’image de Paul Giacobbi, commencent à faire connaître leur irritation de ne pas voir tenue la promesse en ce sens qui leur a pourtant été faite. Mentionnons aussi le nouveau coordinateur de la sécurité en Corse, qui a publiquement fait savoir que les récentes interpellations pouvaient créer des « troubles » au sein la population et qu’il ferait remonter l’information à qui de droit aux personnes concernés. Le refus faire passer la mer aux prisonniers nationalistes relève d’ailleurs d’autant plus de l’acharnement que comme l’a indiqué un des porte-paroles de Sulidarità, il n’existe « aucun obstacle technique » et que, depuis dix ans, les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, font des promesses. Pour étayer ce propos, on peut d’ailleurs rappeler que le centre de détention de Casabianda qui abrite, dans un quasi confort de vie quotidienne, de bien sinistres personnages comme des violeurs ou des tueurs de femmes ou d’enfants, pourrait être libéré de ces derniers et consacré à recevoir les prisonniers nationaliste et aussi des condamnés insulaires incarcérés sur le continent pour des faits relevant du droit commun.
Le contenu et l’esprit des textes ou déclarations
Il est grand temps que l’Etat cesse de renier sa parole et ainsi de se déconsidérer. Il devient urgent aussi qu’il respecte le contenu ou l’esprit de ses propres textes ou déclarations. En effet, l’article R57-8-7 du Code de procédure pénale précise que le directeur interrégional des services pénitentiaires, après avis conforme du magistrat saisi du dossier de la procédure, peut faire droit à la demande de rapprochement familial d’une personne détenue prévenue dont l’instruction est achevé. Quant au transfert d’une personne inscrite au répertoire des détenus particulièrement signalés ou prévenue pour acte de terrorisme, il peut être accepté par le ministre de la Justice Par ailleurs, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a consacré, dans le chapitre des droits et devoirs des détenus, le principe du rapprochement familial. Enfin, il ya quelques mois, répondant à une question orale posée par une sénatrice PS, un membre du gouvernent a affirmé que « Le maintien des liens familiaux constitue le critère quasi exclusivement retenu dans le processus d’affectation des condamnés ». Il serait plus que temps de passer aux actes.
Pierre Corsi