Selon les experts de la CIA, dans le monde de demain, être « small » n’aura vraiment rien de « beautiful ».
Un trait commun caractérise la plupart d’entre nous : n’appréhender les enjeux corses qu’à partir d’ambitions déterminées par notre nombrilisme. Comme si notre avenir dépendait essentiellement de ce qui se dit, se fait, se ressent ou se vit d’Ajaccio à Bastia et du Cap Corse à Bonifacio. Certes, les acteurs de la vie publique insulaire évoquent souvent la place de la Corse au sein de l’Union Européenne et de la Méditerranée, mais beaucoup d’entre eux s’en tiennent à n’y voir qu’une alternative à la France ou une source de financements. Il serait temps que nous prenions tous conscience de la nécessité de considérer l’avenir à travers le prisme du monde en mouvement, et non par le petit bout de notre ancestrale lorgnette. Pour ce faire, nous pourrions utilement consulter les travaux du National Intelligence Council (NIC). Cet organisme dépendant de la CIA réfléchit à l’état du monde à l’horizon de deux décennies et révèle tous les cinq ans la teneur de ses travaux et de ses conclusions. Son prochain rapport intitulé « Global Trends 2030 » (Tendances globales 2030) devrait être publié en novembre, mais de premières informations ont d’ores et déjà filtré. Elles annoncent un monde où il ne fera pas bon être seul et petit. Le NIC prévoit en effet que le système international sera dominé par l’individualisme, la forte démographie, la dispersion de la puissance et les problématiques de l’énergie, de l’eau et de l’alimentation. Il précise que l’impact de ces constantes évoluera selon des variables-clés (économie et gouvernance mondiales, guerres, technologie, rôle des USA) et dégage trois scénarii pour 2030 : le retour en arrière, la coopération, la désintégration.
Calamiteux et déprimants
Le scénario « désintégration » serait le plus probable et aussi le plus calamiteux. Il se traduirait par des évolutions très négatives pouvant aboutir au chaos : croissance économique inégalitaire, redistribution des cartes de la puissance entre plusieurs Etats, USA et Occident s’affaiblissant au profit de l’Asie, volatilité des marchés, changement climatique menaçant la stabilité mondiale, absence d’une volonté politique susceptible résoudre les problèmes mondiaux, marginalisation des organisations internationales, accentuation des risques de conflits interétatiques. Le scénario « retour en arrière » prévoyant le retour à l’instabilité de la première moitié du XXe siècle, ne serait guère plus favorable. Il aurait pour traits dominants et déprimants : des tensions ou antagonismes ethniques et géopolitiques en Asie et au Moyen-Orient qui dégénèreraient en conflits ouverts, un contexte de stagnation économique mondiale, une impuissance des USA à influer sur la situation mondiale du fait de leurs problèmes budgétaires. Le scénario « coopération » serait le seul positif mais se révèle quasiment irréaliste. Il exigerait en effet l’émergence d’un monde fraternel guidé par la Chine et les USA, dont la collaboration sur le plan technologique déclencherait un nouvel âge d’or pour les relations internationales. Si ces scénarii sont crédibles, notre pauvre Corse, qu’elle gagne en autonomie ou reste dans le cadre institutionnel actuel, risque fort de ne pas peser grand-chose dans les grands arbitrages à venir. A défaut de disposer de parades ou d’être immédiatement en capacité d’en élaborer, commençons donc par nous faire de nouveaux amis et sachons garder les anciens. Ce serait un début…
Alexandra Sereni