Au nom du « principe de stricte égalité entre les territoires », aucune spécificité de la Corse ne peut être admise dans le cadre constitutionnel actuel.
Le Conseil constitutionnel a gâché la Saint-Sylvestre insulaire en refusant la reconduction des arrêtés Miot. Selon les « sages », le régime fiscal dérogatoire applicable aux successions corse, méconnaissait le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques. Les conséquences sont immédiates et graves. Si rien ne vient modifier la situation créée par le Conseil, dès cette année, pour bénéficier de leurs héritages immobiliers, les Corses devront s’acquitter des droits de succession, et cela vaudra autant pour les « petits » que pour les « grands ». Jusqu’au 31 décembre 2017, un abattement de 50% sera encore appliqué à la valeur des biens et permettra de « limiter les dégâts ». Puis viendra le temps d’un droit commun, aussi inique que spoliateur, pouvant conduire à déposséder de leur patrimoine ancestral, les héritiers qui ne pourront pas payer. Comme cela se passe scandaleusement sur le Continent, beaucoup d’héritiers devront renoncer à un patrimoine familial et accepter qu’il devienne la proie de spéculateurs ou de résidents secondaires. Certes, il n’est pas interdit de penser, comme les communistes qui se réjouissent de sa disparition, que les arrêtés Miot ont servi les intérêts des plus fortunés. Il est même probable qu’en favorisant l’accumulation de biens immobiliers au fil des transmissions, ces arrêtés ont contribué à raréfier les ventes, à faire monter les prix et à constituer une caste de grands propriétaires oisifs pouvant vivre de la rente. Cependant, les notions de justice fiscale ou sociale n’ont guère pesé dans la volonté de supprimer les arrêtés en question. Depuis des décennies, ils étaient pointés du doigt par les hauts fonctionnaires parisiens comme étant un intolérable privilège consenti à « Cette Corse de fainéants, de truands et de poseurs de bombes, pour laquelle la France ne cesse de payer ». Au début des années 2000, leur insistance aboutit d’ailleurs à ce que la sortie progressive de des arrêtés Miot devînt une condition, non officielle mais bien réelle, de l’octroi du PEI (Programme exceptionnel d’investissement). Le coup de massue reçu ces derniers jours, pourrait cependant constituer un mal pour un bien. En effet, il est de nature à remettre sur la table la question de l’évolution institutionnelle que les uns souhaitaient enterrer, et d’autres préféraient fragmenter en demandant à Paris, sans exiger un réel statut d’autonomie, des concessions en matière de spécificité fiscale, d’organisation des transports, de co-officialité de la langue corse et de pouvoir de légiférer.
Franchir une falaise constitutionnelle
Cette situation nouvelle est d’ailleurs déjà évoquée par Pierre Chaubon. Pour le président de la commission des adaptations législatives à l’Assemblée de Corse, ce qui vient de se produire avec les arrêtés Miot, confirme que le seul moyen de faire reconnaître les spécificités corses au sein de la République, réside dans la mention d’une autonomie de la Corse dans la Constitution. Ce qui permettrait, au nom d’une insularité et d’une histoire la rendant inique ou inadaptable, de justifier des entorses à l’égalité républicaine. Cette approche recoupe celle d’un franc-tireur de la politique corse, le socialiste Vincent Carlotti, qui souligne, depuis des mois, l’imprudence de vouloir présenter à l’Etat, en les « saucissonnant », des revendications impliquant la reconnaissance d’une spécificité corse ou insulaire. Selon lui, toutes se heurteront à un refus du Conseil constitutionnel. D’où sa préconisation de négocier sans attendre un statut d’autonomie. Les nationalistes qui croyaient encore, il y a peu, à une politique des « petits pas », semblent eux aussi se rallier à une approche globale et Paul Giacobbi y vient aussi. En effet, le Président du Conseil exécutif écrit sur son blog qu’en 2013 la Corse devra, elle aussi, franchir une falaise constitutionnelle et explique ainsi sa conviction : « Nous savons désormais, après la décision du Conseil constitutionnel, qu’aucune spécificité de notre île ne peut être admise dans le cadre constitutionnel actuel au nom du « principe de stricte égalité entre les territoires ». Il précise aussi qu’une évolution constitutionnelle n’aurait rien d’incongru ou de choquant : « Un certain nombre de spécialistes autoproclamés ont stupidement affirmé qu’il n’était pas concevable que la Corse soit citée nommément par la Constitution afin de déterminer le régime juridique qui est applicable. Or la Constitution de la République que ces « spécialistes » n’ont pas pris la peine de lire, cite nommément tous les territoires outre-mer de la France en prévoyant pour chacun d’entre eux un régime juridique qui tient compte de leur spécificité (…) Que ceux qui prétendent qu’il n’est pas souhaitable de tenir compte de la spécificité corse dans la Constitution, sachent bien qu’ils consacrent ce faisant la renonciation à toute singularité fiscale et, en particulier, au bénéfice des Arrêtés Miot, qu’ils admettent que la langue corse est condamnée à disparaître et que l’île doit être livrée sans défense appropriée à la spéculation internationale immobilière. Dans ce domaine, chacun prendra ses responsabilités. j’ai pris depuis longtemps les miennes. » Alors 2013, année autonomiste ? Cela pourrait bien advenir et tous les corsistes et nationalistes qui n’y croyaient plus trop, pourraient alors chanter en chœur : « Merci, les Sages ! ».
Pierre Corsi