Paul Giacobbi n’a pas fait, loin s’en faut, l’unanimité. Mais il a eu le mérite de relancer et élargir le débat.
En se prononçant pour un contrôle des ventes de terrains et de biens immobiliers fondé sur la résidence en Corse, Paul Giacobbi a anticipé avec fracas les débats prévus fin septembre à l’Assemblée de Corse, devant en particulier porter sur la question foncière et l’évolution des institutions. Plus précisément, le président du Conseil exécutif a fait connaître que sa solution pour limiter la spéculation foncière, passait par une réduction de la liberté d’acquisition de la terre. Depuis son jardin, à Venaco, il a en effet confié à Corse Matin : « On ne peut plus admettre, sinon à souhaiter la spéculation et toutes les dérives qui l’accompagnent, que la terre de Corse continue à être totalement libre d’acquisition », avant de suggérer de réserver l’accès à la propriété foncière aux personnes justifiant d’au moins cinq ans de résidence ou d’un l’attachement familial à la Corse. ». Il a ainsi semblé se ranger aux côtés des autonomistes et des nationalistes, et plus particulièrement de Corsica Libera qui, lors des Ghjurnate di Corti ayant eu lieu quelques jours auparavant, avait proposé que l’acquisition de terres ou d’immeubles en Corse soit subordonnée, pour les non corses, à une résidence permanente de 10 ans sur l’ile. Les réactions politiques et médiatiques n’ont pas manqué.
Du ridicule à l’odieux
Certaines ont versé dans l’outrance et le ridicule de l’injure ou du sentiment anticorse. Nicolas Dupont-Aignan a affirmé : « Autant dire que cela revient à créer un régime ségrégationniste en Corse (…) L’État français ne peut laisser la République s’effriter devant ces coups de boutoir. » Il s’en est fallu de peu que le député de l’Essonne appelle à ce que la Légion saute sur Venaco. Il a toutefois été dépassé par un journaliste, le sieur Szafran, qui a placidement écrit que Paul Giacobbi avait « perdu la tête », que son idée suintait « la haine de la France et des Français du continent » et que tout cela reprenait « les thèmes des ethnicistes les plus sectaires. » On aura compris que ce rédacteur de Marianne aurait pu se laisser aller jusqu’à demander la comparution de Paul Giacobbi devant un tribunal. Un pas qui a d’ailleurs été franchi par un hurluberlu qui a déposé plainte pour « discrimination et racisme » et a ajouté l’odieux au ridicule en comparant la prise de position du Président du Conseil exécutif aux « lois de discrimination contre le droit de propriété des juifs dans l’Allemagne des années 30 et 40. » Il n’était pourtant pas besoin de dépasser les bornes pour contester la prise de position de Paul Giacobbi. Certains l’ont fait avec mesure et une certaine rationalité, se divisant toutefois en deux camps. Coté cour se sont manifestés ceux qui s’inquiètent de l’impact négatif de toute limitation. Ainsi Les professionnels de l’immobilier, en bons adeptes de la loi de l’offre et de la demande, ont souligné que « les biens supérieurs à 500 000 euros sont principalement acquis par les gens du continent, parce que les Corses n’en ont pas les moyens" et qu’interdire ces transactions provoquerait une forte décote pénalisant les Corses. Côté jardin son intervenus ceux qui craignent que la prise de position du Président du Conseil exécutif, compromette l’avenir. Dominique Bucchini en est. Souhaitant lui aussi réguler le marché et limiter la spéculation, il a toutefois affirmé que Paul Giacobbi se trompait de débat. Le président de l’Assemblée de Corse a en effet souligné que le but n’était pas de barrer la route aux non résidents, mais de permettre à une très large majorité d’insulaires d’élever leur pouvoir d’achat et leur capacité à se loger comme locataires ou comme propriétaires. Dominique Bucchini a par ailleurs relevé que rien ne serait efficace, de par la loi du marché, en dehors de mécanismes législatifs et fiscaux, de nature anti-spéculatifs, pris aux niveaux national et européen. D’autres opposants déclarés à la spéculation foncière ont pour leur part déploré que pour plaire, à l’approche des municipales, aux autonomistes et indépendantistes, Paul Giacobbi ait pris le risque délibéré de braquer une partie de la majorité territoriale et de la classe politique nationales déjà réticentes à le suivre sur les chemins de toute évolution qui accentuerait le caractère institutionnellement spécifique de la Corse. Et qu’ait ainsi été compromise, pour longtemps, toute possibilité de limiter la spéculation immobilière. Pas si seul que çà ! Paul Giacobbi a-t-il été trop loin ? Peutêtre si l’on se réfère à des conceptions caporalistes ou immobilistes de la Constitution et de l’Union Européenne. Pas forcément si l’on prend en compte d’autres réalités. Paul Giacobbi a ainsi rappelé qu’en Alsace la séparation des églises et de l’Etat, n’est pas en vigueur et que le Massif central se distingue par un régime spécial de la propriété. Il aussi rappelé qu’il n’est pas tenable d’attendre des évolutions aux plans national ou européen, alors que la spéculation sévit sur fond d’annulations par les juridictions administratives de plans locaux d’urbanisme (PLU) et de permis de construire déclarés illégaux, alors qu’ils ont été approuvés par l’Etat. D’ailleurs, Paul Giacobbi n’est pas aussi désavoué que veulent le faire croire ses détracteurs. Ainsi, en réaction à sa prise de position, seuls 53% des Français se sont dits opposés à des mesures de restriction de l’accès à la propriété (Le Journal du Dimanche). Alors, certes, la bombe de Venaco n’a pas fait, loin s’en faut, l’unanimité. Mais elle a eu le mérite de relance et élargir un débat sur lequel nous aurons certainement à revenir. Pour preuve de cet élargissement : la réaction du président du Conseil économique et social de l’Union européenne (CESE). Henri Malosse a souligné que le problème « se pose en Corse et sur toutes les zones côtières », qu’il approuvait la proposition de Paul Giacobbi et que « l’Union européenne ne pourra pas s’opposer à cette mesure, sauf si elle présente des aspects discriminatoires », rappelant que des statuts de résidents existent au Tyrol autrichien, dans les îles Aland au Danemark, en Ecosse ou encore dans l’île française de Chausey. A suivre…
Pierre Corsi