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L’invité : Paul Craux

jeudi 22 septembre 2011, par Journal de la Corse

En cessation de paiement et bientôt sous la menace d’une liquidation judiciaire, le Comité Régional d’Expansion et de Promotion Agricole de la Corse (CREPAC) est dans une situation critique. Sans langue de bois, Paul Caux, son président, explique, selon lui, les raisons pour lesquelles cet outil est menacé de disparition.

Vous avez évoqué, lors de l’Assemblée Générale du CREPAC, en début de mois, sa situation critique et son éventuelle liquidation judiciaire. L’organisme que vous présidez est-il toujours menacé ?

Plus que jamais ! Je dirais même que le CREPAC est menacé de disparition depuis plus de vingt ans. C’est un outil qui, depuis sa création en 1976, a toujours connu des hauts et des bas. De temps à autres, on lui a insufflé une bouffée d’oxygène pour donner l’impression que tout allait bien, maintenir la structure et les cinq employés qui la composent. Néanmoins, tout le travail effectué depuis toutes ces années, par ces personnes passionnées de leur métier, sera bientôt réduit à néant. La situation, déjà très précaire, s’est considérablement aggravée depuis deux ans. Et je trouve cela lamentable car tout a été fait pour arriver à un tel résultat.

Comment expliquez-vous ce constat ?

Un tournant important a précipité, depuis 2009, la situation actuelle. On a fait, volontairement, en sorte que l’agriculture et l’agro-alimentaire soient mis en opposition. En réalité, il n’y a aucune opposition. Le monde agricole réclame simplement, et à juste titre, une traçabilité de ses produits et une reconnaissance de son travail. C’est aussi, à mon sens, le souhait du consommateur. Qui, parmi nous, ne veut pas savoir ce qu’il achète, consomme ou encore l’origine de tous ces produits ? Et c’est justement le rôle du CREPAC. Un rôle qu’il accompli depuis plus de 30 ans et pour lequel il a obtenu des résultats. Malheureusement, on lui a sciemment ôté ses missions.

Quelles en sont les raisons, selon vous ?

Il y a des intérêts importants et certains y trouvent sans doute leur compte. L’agro-alimentaire "récupère", en quelque sorte, l’image d’une agriculture authentique dans le but d’en tirer un bénéfice beaucoup plus substantiel. Néanmoins, ce qui gêne le plus, dans l’outil que représente le CREPAC, c’est qu’il ne défend pas seulement des produits mais des hommes, un territoire et une identité.

Quels facteurs ont précipité la situation précaire que vous évoquez ?

Avec un budget de 240 000 euros et des rentrées de 160 000 euros, on a, avec un déficit annuel de 80000 euros, toujours eu le couteau sous la gorge. La précédente mandature avait voté un budget de 80 000 euros qui n’est jamais arrivé. Quant à l’assemblée actuelle, elle nous a demandé des chiffres alors que nous étions au bord du précipice. Cette situation s’est précipitée à partir du moment où l’on nous a retiré notre mission de promotion. Le CREPAC, c’est l’outil régional de promotion et de valorisation des produits de la Corse. Si on lui enlève sa mission, il est mort ! On a divisé pour mieux régner et le Plan de Développement Rural de la Corse en a été l’élément déclencheur. Cela a divisé le monde agricole puisque toutes les filières font, désormais, elles-mêmes leur promotion. Mais il faut savoir que cela nécessite un budget plus conséquent. Elles n’ont pas compris qu’on leur ôtait un outil. Ensuite, dans la situation précaire que nous traversions, les réformes nous ont contraints de changer de statut pour devenir GIP. Mais le GIP n’a pu aboutir en raison d’une mauvaise volonté politique. Et aujourd’hui, les deux chambres ne peuvent pas, à elles seules, maintenir l’outil en vie. Le CREPAC n’a pas été mis en situation de continuer. Il a été condamné à mort !

Où situez-vous les responsabilités ?

Au niveau de la classe politique. Si l’économie s’appuie sur l’agro-alimentaire, il est certains que les chiffres et les emplois peuvent paraître conséquents. Sommes-nous, pour autant, dans une réflexion visant à mettre en valeur le monde agricole avec tout ce que cela implique derrière ? Voilà la question qu’il convient de poser aux politiques. Mais, pour la plupart, ils ne s’en soucient pas. On s’aperçoit, au contraire, qu’un organisme comme l’ODARC bénéficie d’une enveloppe de 50 millions d’euros pour travailler avec le monde agricole. Or, il faut savoir que l’ODARC, tout comme l’ATC s’appuient, aujourd’hui, sur tout le programme rédigé, en amont, par le CREPAC depuis des années. Et je me demande si, quelque part, ces structures ne jouent pas un double jeu. On voit bien que le PDRC a été clairement rédigé pour les filières et sans outil de promotion. Ce qui équivaut à faire la promotion de produits non certifiés ! Ce plan met en avant les filières, fait en sorte qu’elles aient directement accès à leurs subventions et qu’elles fassent elles-mêmes, leur promotion. Cela équivaut à "tuer" le CREPAC. Sans doute parce qu’il dérange...

On dit que le CREPAC n’aurait pas été en mesure d’exercer ses fonctions. Qu’en pensez-vous ?

Il faut tout simplement se demander pourquoi ! L’ATC mise sur l’agro-tourisme et l’ODARC sur la promotion. Tout ce que le CREPAC a accompli depuis tant d’années, devient, aujourd’hui, leur projet. Si nous n’avons pas pu mener toutes ces actions en temps et en heure, c’est tout simplement parce que nous n’avions pas les fonds nécessaires. C’est trop facile, ensuite, de dire que nous n’avons pas fait notre travail !

Quelles solutions auriez-vous préconisé ?

On aurait dû se pencher plus en avant sur le CREPAC, notamment à l’occasion de la transformation du contrat de plan en PDRC. À ce moment, il aurait fallu songer à renforcer cet outil, mettre des fonds à disposition et le restructurer afin de le rendre plus solide. Il fallait saisir cette opportunité. On ne l’a pas fait.

Remettez-vous en cause la politique agricole dans son ensemble ?

Il faut avoir l’honnêteté de considérer, aujourd’hui, que nous sommes plus dans une logique de promotion de produits agro-alimentaires, donc industriels, que de produits authentiques issus du monde agricole. À cet effet, la meilleure démonstration reste le salon de l’agriculture à Paris. C’est un salon de la "contrefaçon !". Depuis que je dirige le CREPAC, nous n’y sommes, en accord avec les deux chambres, jamais montés. Pourquoi ? Quand vous avez des produits de saison, de surcroît en faible quantité, cela implique des démarches importantes. Ce n’est pas à Paris que l’on va vendre et faire la promotion de nos produits. Paris est une vitrine qu’il faut peut-être imaginer autrement. En outre, on a déboursé 500000 euros pour une semaine au salon de l’agriculture à Paris. À côté de cela, pas un centime pour l’outil de promotion...

Comment voyez-vous l’avenir de la filière agricole ?

S’il leur faut se séparer du CREPAC, les politiques auront une décision très lourde à prendre. J’espère que la structure va connaître une mutation et que, d’une façon ou d’une autre, elle sera récupérée. L’important, c’est qu’elle reste un outil professionnel. Et si ce n’est pas le cas, les agriculteurs n’auront plus grand-chose à faire pour promouvoir leurs produits et leur travail. Malheureusement, j’ai peur que la vision actuelle que l’on a, du développement de cette filière, ne bascule vers l’image d’une promotion tronquée. C’est le début de la fin pour l’agriculture insulaire.

Interview réalisée par Joseph Albertini

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