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DROIT DE RÉPONSE

jeudi 27 octobre 2011, par Journal de la Corse

Voici le texte que nous a adressé M.Jean-Joseph Franchi en réponse à un puttacchju de Carl’Antò

« Pane di guvernu » et nourritures spirituelles

Selon le JDC je viens de rater d’un point (d’interrogation) le prix d’excellence. Je ne me savais nullement candidat, mais bon… Laborantin du concept improbable, Géo Trouvetout de la formule qui tue (à tout le moins qui fâche) j’aurais, en effet, balancé sur les ondes, tout de go et de mon propre chef, l’idée que le français fut un temps, pour nos aïeux, « a lingua di u pane »… Je crains fort de n’être pas l’inventeur de cette tournure imagée mais s’il est vrai, comme le disait Pascal, que : « Les meilleurs livres sont ceux que l’on croit qu’on aurait pu écrire », je la prends volontiers à mon compte, non dans une perspective boulangère, mais pour signifier que, succédant à l’Italien (et démocratisé par l’Ecole), l’idiome de Molière était devenu, pour les Corses, la condition sine qua non de toute promotion sociale. Alors le pain, mais aussi le beurre et pourquoi pas les cacahuètes ? Un simple « idiome de garde manger » selon la formule plaisante (bravu !) de Carl’Antone dans ses « puttachji » du dernier JDC ? En d’autres termes, ai-je voulu dire ou simplement sous-entendre que la maîtrise du français n’avait pour les Corses qu’un intérêt alimentaire ? Comment une interprétation aussi saugrenue de mon propos a-t-elle pu germer dans la cervelle de quiconque ? Qui de nous n’a connu, dans son village, des « vieux » qui étaient des êtres de grande culture dans les deux langues ? Il s’agirait donc pour moi, Ghjuvan Ghjaseppiu de les renier ou de suspecter leurs motivations ? Quid alors de cette vieille paysanne (ma propre mère : elle aurait aujourd’hui 110 ans) qui me récitait d’un bout à l’autre le Lac de Lamartine et même - beaucoup plus ardu - la Maison du Berger de Vigny ? Ma mère qui m’a légué tant de choses du passé corse le plus lointain sans jamais négliger de me transmettre - aussi – les savoirs qu’elle tenait de l’Ecole. À l’époque, ce n’était pas rien !

Hà parlatu bè ma chì hà dettu ?

Alors, sur quoi donc portait le propos radiophonique épinglé par votre collaborateur ? Rien à voir avec ce qui précède : il s’agissait simplement d’insister sur le fait que l’enseignement généralisé (et exclusif) du français à l’école, loin d’être un avatar sournois de la colonisation était la première étape à franchir pour que l’île accède enfin au monde moderne. C’est pour cette raison – entre autres – que nos maîtres faisaient tant d’efforts et qu’ils étaient largement soutenus par les parents qui, du coup vouaient parfois, eux-mêmes, le corse aux gémonies ! On a tort, en effet, de plaquer la configuration sociolinguistique actuelle sur la situation qui prévalait jusqu’à la fin de la Première Guerre Mondiale et même, souvent, pendant les deux ou trois décennies suivantes. Les tableaux sont symétriques mais inverses ! Dans les villages (où vivait, à l’époque, la grande majorité des Corses) on était généralement monolingue et confrontés à un idiome somme toute étranger mais qu’il était impératif d’apprendre pour accéder à tous les autres savoirs. Nul ne soupçonnant à l’époque les bienfaits reconnus aujourd’hui du bilinguisme, les instructions officielles étaient, non d’éradiquer le corse, mais de permettre aux enfants de mieux apprendre le français en se défaisant de la mauvaise habitude de « parler patois ». Dans cet esprit, les vieux instits de l’Ecole de Jules Ferry, les fameux « hussards noirs de la République » avaient même essayé de prohiber l’emploi de l’idiome local hors des murs de l’école. Leurs successeurs d’après guerre employaient des méthodes plus « soft », mais pour les uns comme pour les autres je soutiens que ce fut ce fut l’échec total : en milieu rural petits et grands ont continué à s’exprimer naturellement dans leur langue. La question posée au cours de l’émission était celle-ci : un seul auditeur peut-il témoigner du contraire ? Et en cas d’absence de témoignages vécus pourquoi attribuer le déclin actuel du corse à cet historique « rôle répressif » de l’école ? À partir des années 70, en revanche, l’implosion des communautés agro-pastorales ayant fait son œuvre, le corse n’était plus la langue des travaux et des jours, les écoles rurales fermaient une à une… et c’est là que l’on a commencé à entendre (pendant les vacances) des enfants de village qui « sfrancisavanu pà isse machje » ! On ne peut en incriminer l’école puisqu’elle était fermée ! Je n’ai pas dit autre chose et j’aurais sans doute parlé français pour mieux me faire comprendre si le principe de l’émission « dite a vostra » n’y était strictement opposé !

Ghjuvan ghjaseppiu FRANCHI

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