La découverte, le mois dernier, à Campo Stefano, près de Filitosa, d’une sépulture du Mésolithique vielle de 9000 ans révolutionne l’archéologie insulaire. Vraisemblablement contemporain de la célèbre "Dame de Bonifacio", le squelette mis au jour devrait apporter des éléments importants sur l’histoire, assez méconnue, des premiers peuplements de l’île et même de l’ensemble de la Méditerranée. C’est à Joseph Cesari, conservateur régional de l’archéologie et des monuments historiques, et toute son équipe, que l’on doit cette fabuleuse découverte.
"Quand on veux trouver des vestiges anciens, explique Joseph Cesari, conservateur régional de l’archéologie et des monuments historiques, le point de départ peut être le hasard ou bien une recherche coordonnée." C’est un ensemble des deux qui a permis, le mois dernier, la mise au jour, à Campo Stefano, d’une sépulture vielle de 9000 ans. Une découverte qui est le fruit de recherches débutées en 2003.
Genèse
Tout commence quand Charles Arrii, propriétaire sur la commune de Sollacaro, remarque, au début des années 2000, des pierres "anormalement" agencées en plein cœur d’un maquis particulièrement dense. "Je travaillais sur un site voisin, rajoute le conservateur, Mr Arrii m’a contacté. J’ai, effectivement, constaté, une masse, très importante de pierres qui ne semblaient guère disposées de façon naturelle. J’ai demandé une expertise qui a débuté courant 2003." Cette expertise marquera le point de départ de huit ans de travaux sur le site de Campo Stefano. Le fait est que le programme préalable concernait l’âge du bronze, soit 1800 à 700 av J-C. "Après avoir démaquisé le terrain, nous avons découvert des abris, ce qui nous a conduit à poursuivre nos recherches plus en avant en ces lieux. L’équipe de Joseph Cesari identifie les vestiges d’un bâtiment protohistorique sur le site. "Il était situé sur un enrochement peu élevé, rappelle ce dernier, avec un point culminant à moins de 100 mètres d’altitude. Un endroit très vallonné parsemé d’espaces, avec un grand terrain plat et à proximité d’une source thermale (Ghjunca). "Dans l’abri, le sous-sol était marqué d’empreintes (trous de poteaux) restituant la charpente du bâtiment. Quant à l’aménagement, il était composé de trois pièces structurées où l’on retrouvait, notamment un vase silo ouvert (d’une contenance de 100 litres) dans lequel on devait entreposer de l’eau. "
Découverte d’une sépulture du Mésolithique
Les fouilles se sont, ainsi, poursuivies durant quatre années. Courant 2007, l’équipe de recherche poursuit plus en avant son travail suite à la découverte d’un nouvel abri d’une surface de 8m2, en contrebas du premier. "Il nous a paru intéressant car il semblait très peu perturbé par les périodes contemporaines. Il pouvait receler des vestiges." Les archéologues procèdent, alors, à des séquences stratigraphiques (succession de niveaux archéologiques que l’on peut dater) permettant la mise au jour, deux ans plus tard (2009), à moins de deux mètres du niveau primitif, d’une sépulture. "Il s’agissait de squelettes dont les os ont été rassemblés post-mortem en fagots." Afin de protéger le site et de favoriser la poursuite des recherches, ces découvertes n’ont guère été médiatisées. Au sein de cette sépulture néolithique figurent sept squelettes (cinq adultes, un adolescent et un nouveau-né). L’analyse, au carbone au C14, date un fémur à 7920 ans avant 1950 (date référence de l’étalonnage du Carbone 14).
10% de l’échantillon méditerranéen en Corse
Enfin, en septembre dernier, a eu lieu la dernière campagne de fouilles. "Il n’y avait plus grand-chose, rajoute Joseph Cesari, mais nous avons découvert un huitième squelette, couché sur le côté les mains jointes. Il a vraisemblablement été inhumé avant les autres." Cette découverte révolutionnerait-elle l’archéologie insulaire, en supposant ce squelette antérieur à la dame de Bonifacio ? "Pour l’heure, affirme le conservateur régional, on peut avancer qu’il est issu de la même période mais nous n’avons pas encore de datation très précise ni de renseignements concernant son âge, son sexe ou les causes du décès." Il s’agit, en tout cas, d’une découverte importante quant on sait que l’Europe a mis au jour 1200 squelettes mésolithiques dont une centaine en Méditerranée. "Nous avons, avec 10 vestiges humains en Corse, 10% de l’échantillon méditerranéen, c’est énorme ! Cette découverte va nous permettre de connaître leur mode vie, l’outillage qu’ils utilisaient, leur nutrition et même leurs pathologies. Nous avons peu de renseignements autour de cette période qui marque le début de la sédentarisation agricole." À cet effet, la dentition conservée du squelette, pourrait grâce à l’ADN ancien, apporter des éléments de réponse. "Les études à venir vont nous donner des informations sur l’éventuel rattachement de ce squelette à une famille de population européenne de l’époque." Le site a fermé ses portes le 17 septembre dernier. Depuis cette date, les ossements font l’objet de nouvelles recherches, en laboratoire, cette fois. S’agit-il, pour autant, des premiers peuplements de l’île quant on sait que le bloc Corso-Sarde s’est détaché de l’Esterel il y a environ...20 millions d’années ? La question reste en suspens tant il est vrai que partisans et adversaires de cette hypothèse continuent de s’opposer...
Philippe Peraut
Fouilles programmées et fouilles préventives
Il existe, en archéologie, deux types de fouilles.
La fouille programmée : contrairement à ce que l’on pourrait penser, elle n’est, en aucun cas, "programmée" à l’avance mais répond, au contraire, à un programme de recherche défini et établi. Elle se caractérise par le fait qu’il n’y a pas d’urgence. Partant d’un questionnement scientifique ( pour ce qui concerne la préhistoire en Corse, ce peut être partir la recherche du moment où l’homme est arrivé en Corse, il s’est sédentarisé, a cultivé les céréales ou pratiquer l’élevage), on évalue le potentiel des sites et procède à des fouilles.
La fouille préventive : elle est toujours effectuée préalablement à l’aménagement d’un site. Bien souvent, il y a même destruction du site, une fois les fouilles achevées. Contrairement à la fouille programmée, elle ne part pas d’une question mais d’une menace. Celle de travaux qui vont détruire un site pour raisons diverses (construction d’immeuble, parking, autoroute, etc...). On effectue un diagnostic archéologique en procédant à des sondages sur le site. Et s’il on retrouve des vestiges, on peut déclencher des fouilles sachant, qu’il y aura des contraintes de temps.
Campo Stefano, troisième site recélant des vestiges humains
Trois sites, ont permis, à ce jour, de découvrir des vestiges osseux dans l’île. Tout le monde connaît la célèbre "donna di Bunifaziu", découverte en 1973 dans l’abri d’Araguina-Serrolla. Il s’agit du squelette (une femme de 35 ans), entier et parfaitement conservé par le calcaire, le plus ancien retrouvé dans l’île (6500 av J-C). Il est, actuellement, exposé au musée de Levie. La fouille de deux abris sous roche sur le site de Torre d’Aquila, près de Pietracorbara avait permis, dans les années 1980, la mise au jour de sépultures datant du néolithique ancien. Les sépultures de Campo Stefano, découvertes en septembre 2011 sont les troisièmes vestiges osseux mis au jour en Corse. Ils recèlent squelettes dont le dernier est contemporain de la Dame de Bonifacio.
L’équipe de chercheurs
Joseph Cesari, conservateur régional de l’archéologie et des monuments historiques. Franck Leandri, conservateur au service régional de l’archéologie Paul Nebbio, conservateur en chef du patrimoine, conservateur du musée de Sartène Thomas Perrin, chargé de recherches au CNRS de Toulouse Patrice Courtaud, anthropologue, ingénieur de recherches au CNRS de Bordeaux.