Ces morts qu’on n’oubliera jamais.
Si certains dans les hautes sphères du football français ont déjà oublié le 5 mai 1992, la Corse est elle toujours et à jamais endeuillée.
5 mai 1992 : 20h20. Le stade Armand Cesari et sa « nouvelle et temporaire » tribune Nord est plein comme un œuf. Le stade est bleu et blanc, les drapeaux s’agitent, les chants et les encouragements pour le Sporting couvrent la voix du speaker à qui on a demandé de reformuler les conseils de prudence. « J’étais tout en haut, dans la pseudo tribune de presse » raconte un journaliste de la presse parlée. « Une tribune de presse ? Non juste quelques places réservées au plus haut de la tribune pour suivre la rencontre. Une dizaine de journalistes venus assister à ce qui devait être une fête du football ; une demi-finale de Coupe de France entre le SCB et l’OM alors au plus haut de sa suprématie. L’OM de Tapie, Boli, Papin et Olmeta. Après avoir présenté la rencontre avec mon collègue, nous y étions depuis midi, je m’apprêtais à regagner le studio de la radio en ville pour assurer le duplex. Il était 20h20. Mes dernières paroles : Oh ca bouge ! Puis le trou noir ! Je me réveille sur une civière. On me met dans l’ambulance. Je sombre de nouveau dans l’inconscience et me réveille de nouveau. Je suis dans une salle, inconnue, sur un brancard. Les cris, les appels, les pleurs sont incessants. Je pers connaissance une nouvelle fois. Mon réveil sera moins brutal et douloureux. La chambre dans laquelle je suis à présent est silencieuse. Je n’ai pas conscience de ce qui est arrivé et à l’infirmière qui me change la perfusion je demande naïvement : On a gagné ? »
18 morts et 2357 blessés
« Victime d’une entorse cervicale, d’une fracture des lombaires et d’une blessure au bras, je m’en tire bien. Très bien même. J’apprends que plusieurs de mes collègues journalistes ont été beaucoup plus gravement touchés et que certains sont même décédés. La douleur m’envahit. Je pleure comme un gamin. Aujourd’hui les années ont passé. Mais la cicatrice ne se fermera jamais. J’ai toujours dans ma tête ces hurlements, ces cris de douleur ». Alors que l’an prochain on commémorera les 20 ans de cette tragédie qui a fait 18 morts et près de 2400 blessés, la Fédération Française de Football n’avait rien trouvé de mieux que de faire se disputer la finale de la coupe de France 2012… le 5 mai ! INCROYABLE ! Devant le tollé levé en Corse, devant l’indignation du peuple bleu, des politiques, des sportifs, la FFF s’est aujourd’hui résolu à la reporter d’une semaine. Mais qu’à cela ne tienne, ce 5 mai se disputera une journée de Ligue 1 ! Aberration ! Face à une nouvelle montée au créneau des supporters, des instances du football insulaires et des politiques, le président de la Ligue de Football Professionnelle pourrait toutefois revenir sure cette décision révoltante.
La sanctuarisation de la stèle
Ce 5 mai 2011, a vu l’inauguration d’un périmètre édifié autour de la stèle du souvenir. « Cette réalisation, d’un coût de 10.000 €, a été effectuée à l’initiative de l’Associu Testa Mora » souligne Antoine Agostini, l’un des fondateurs du groupe dissous en 2004. « Notre association avait vu le jour en 1992, au lendemain et en réaction au drame du 5 mai et alors que nombreux, en Corse et ailleurs, prédisaient la mort pure et simple du Sporting. Lors de la dissolution du groupe en novembre 2004, les fondateurs de Testa Mora avaient promis de réinjecter l’intégralité des finances restantes dans une commémoration autour du 5 mai ». Plusieurs fois repoussée notamment en raison des travaux de reconstruction du stade, la sanctuarisation de la stèle a été rendue possible cette année. Le financement a été triple : 7200 € versée donc par Testa Mora, 1500 € par le SCB et 1000 € donnés par l’association de supporters Bastia 1905 qui anime la tribune Est. « L’apport symbolique du club est riche en symbole quand on connait les difficultés qui ont longtemps existé avec le collectif des victimes » souligne Antoine Agostini. « Cette sanctuarisation devenait impérative au vu de l’état de délabrement avancé de cette zone et donnant un aspect honteux et très mal ressenti par les victimes » poursuit-il. Mancà vergogna ! On voyait même certains clients d’un fast food voisin, garer leur véhicules sur la pelouse de la stèle !
L’accord de la CAB
Les anciens de TM ont du contourner aussi beaucoup d’obstacles pour parvenir à leurs fins. « Il a fallu déjà régler la question de la propriété du terrain » précise AG. « Un terrain qui depuis 2007 appartient à la Communauté d’Agglomération de Bastia. Les travaux ont été réalisés le mois dernier par les entreprises Cap Métal et Franceschini. La réalisation comprend un muret de pierre de 50 m sur lequel ont été posées des rampes en fer forgé. L’accès à la zone se faisant désormais par un petit portail. Beaucoup d’émotion bien sûr lors de l’inauguration de cette réalisation qui a eu lieu juste après une nouvelle cérémonie poignante en l’église Ste Marie de Bastia. « Cette dernière réalisation du groupe Testa Mora, permettra à ses fondateurs et membres successifs de refermer définitivement la page. Commencée avec le 5 mai et pour faire vivre le club, son histoire s’est conclue en effet avec un hommage émouvant à ceux qui sont tombés ce soir là. Après la remontée obtenue contre Fréjus et en attendant les 2 jours de fête des 20 et 21 mai prochains*, cet évènement se voulait non seulement un respect de la mémoire des victimes, mais aussi un nouvel élan d’unité des différentes composantes du club. Valeur essentielle qui on le sait lui a permis d’éviter l’été dernier la disparition puis de renaître si magnifiquement cette saison » conclut Antoine Agostini.
Ph.J.
* On fêtera à cette occasion l’accession en Ligue 2 et les 20 ans de la victoire en finale de la Coupe de France