Michel Barat, recteur de l’académie de Corse
Les résultats obtenus traduisent la réussite d’un système éducatif
La Corse s’est, une nouvelle fois, illustrée, à l’occasion du baccalauréat. Cette année, l’académie se classe 2eme au niveau national, 0,1% derrière celle de Nantes. Elle montre ainsi, sa progression depuis six ans. L’occasion, pour Michel Barat, recteur, d’analyser ces résultats.
Les résultats de l’académie au Bac sont, encore une fois, exceptionnels. Cela fait maintenant plusieurs années. Que dire en 2013 ?
C’est le 5e baccalauréat que je fais passer ici et ma sixième année en tant que recteur. À chaque session, nous avons progressé dans les résultats, je ne peux donc qu’être satisfait. Concernant le bac général, le taux de réussite est, avec 94,9%, exceptionnel ! Avec, en outre, plusieurs établissements de Corse qui ont un taux de 99%. Je ne vois pas comment on pourra faire mieux l’an prochain.
Certains argumentent, néanmoins, que le niveau du baccalauréat est, aujourd’hui, plus faible qu’il y a quelques décennies. Qu’en pensez-vous ?
Je veux profiter de l’occasion pour « couper l’herbe sous les pieds »de tous ceux qui prétendent que l’on donne le bac. Aujourd’hui, nous avons trois examens : le bac général, le bac technologique et le bac professionnel. Et le bac général ne représente qu’un tiers des candidats. Donc, le taux de réussite de 94,9% ne concerne qu’un tiers des résultats. Or, on dit, il est vrai, « de mon temps, il y avait beaucoup moins de reçus et ils savaient bien plus de choses que les jeunes d’aujourd’hui. » Personnellement, j’ai passé le bac en 1966. Il n’y avait ni bac technologique, ni bac pro. À l’époque, 26% d’une classe d’âge était candidate aux bacs A, B, C, D et E, tous généraux. Aujourd’hui, c’est 70% d’une classe d’âge. En outre, la population a nettement augmenté depuis près de 50 ans. Je ne suis donc pas certain que l’on ait vraiment progressé depuis 1966 ! Et si on veut aller plus loin, on peut, en regardant l’écart avec les bacs technologique et professionnel, se demander si la réussite du bac général n’est pas la preuve qu’il existe des inégalités sociales. Et ceux qui avancent que l’on donne le bac sont pour la ségrégation sociale ! C’est un discours de « vieux gâteux » qui voudraient maintenir un sous prolétariat culturel dans notre pays. Je voudrais bien voir, si je fais passer le bac d’aujourd’hui à tous ces détracteurs, lequel d’entre eux serait reçu ! Ce ne sont pas les mêmes sujets ni la même manière de penser. Un bachelier d’il y a vingt ans aurait bien du mal à s’en sortir. Il faut arrêter de dévaloriser les choses.
Revenons aux résultats 2013. Comment faire mieux ?
Mon problème, ce n’est pas les 94,9% de réussite. C’est de savoir pourquoi nous avons 5,1% d’échec. Le bac est un examen et non un concours. Dans une classe, tous les élèves doivent être amenés à la réussite.
Vous ne visez tout de même pas les 100% les années à venir ?
Dans l’idéal de la raison, et non la réalité, il faut m’expliquer pourquoi les élèves qui ont suivi un parcours scolaire normal sans jamais redoubler, échouent à un examen. Le bac n’est pas un concours dans lequel on classe les gens, on élimine. On a simplement défini un niveau à atteindre. Et si l’on a fait passer des élèves en terminale, on estime qu’ils doivent avoir le bac.
Pourquoi ne pas attribuer le bac sur une année scolaire plutôt que sur un examen ?
Techniquement, c’est ce qu’il faudrait faire. Aucun examen universitaire n’est attribué sans passer par des partielles. Il y a un fractionnement des évaluations ponctuelles. Ce qui est bon pour la fac ne le serait pas pour le premier diplôme de l’enseignement supérieur ? Le seul examen, en France, où vous n’avez pas de partielles, c’est le bac ! Mais on n’y touchera pas parce que c’est un véritable un rituel social.
Quelles conclusions tirez-vous pour 2013 ?
Cela fait un certain temps que je suis à la tête de l’académie de Corse, je me fais donc une petite idée. Quand je suis arrivé, il y a six ans, le niveau était faible. On était la 28e académie sur 30. L’an dernier, nous étions dans les cinq premières, et 3e sur le bac général. Cette année, on est dans 2e derrière Nantes, devant Grenoble et Rennes première et deuxième académie en 2012. On note une progression constante qui s’explique par plusieurs paramètres. Nous avons, dans un premier temps, pacifié, y compris sur le plan social. Ensuite, il faut considérer qu’il y a eu, sous mon autorité, certes, un effort de tous pour tirer profit du fait que l’on est une petite académie. Nous avons mis en place la proximité la plus fine. On s’est aperçu, aussi, dès la première année, que les évaluations de la fin du premier degré n’étaient pas mauvaises. Or, ce sont les élèves qui, aujourd’hui, arrivent au bac. Et les résultats obtenus ne sont pas la réussite des classes de terminale. Ils traduisent la réussite de tout un système éducatif. Je n’y suis pas pour rien, tout comme les chefs d’établissements et les enseignants. Mais ce sont les élèves qui, avant tout y sont pour quelque chose. C’est également dû à l’instauration d’un climat et l’insistance de ce que représente l’école. Je me suis toujours battu pour montrer que l’école doit être au coeur des préoccupations de tous.
Comment, désormais, mettre toute cette matière grise au service de la Corse ?
On est, ici, face à un gros problème. Un livre de sociologie a été rédigé par Emmanuel Todd et Hervé Le Bras ; il s’intitule « Le mystère français ». La Corse y est ciblée, à la fois, comme étant l’un des lieux les meilleurs de France concernant l’enseignement élémentaire mais celui où l’on a le moins de diplômés dans le monde de l’entreprise et dans la société, où l’on poursuit le moins les études après le bac. C’est aussi l’endroit où l’on note le plus grand écart entre filles et garçons : 20 points. Comment expliquer cela ? Il devrait, logiquement, y avoir une corrélation entre le succès du système éducatif et la poursuite d’études. Donc, il y a, en Corse, un vrai problème sociologique.
Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
En Corse, on est dans une culture de l’enracinement et le garçon est surprotégé. Prenez le début du « Sermon sur la chute de Rome » de Jérôme Ferrari, Goncourt 2012. Un brillant étudiant en philosophie, titulaire, au moins, d’une maîtrise, vient acheter un bar dans le village de Corse où il a ses racines. Cela est significatif d’un certain état d’esprit, d’une mentalité. Il faut qu’il n’arrive rien au garçon. Et s’il achète un bar dans le village, il sera plus près de sa famille. Mais, s’il doit aller faire des études, ne serait-ce qu’à Corte, c’est une véritable catastrophe ! Le fait d’avoir une université de proximité a sans doute amélioré une situation qui était déjà très difficile. Mais nous sommes face à un problème de mentalité.
Comment y remédier ?
Il faut combattre l’idée d’une certaine forme de fatalisme. On préfère rester au pays y faire pas grand-chose qu’amorcer une vraie carrière et revenir. Aujourd’hui, il faut savoir que pour être embauché dans une entreprise où que ce soit, on privilégiera toujours, même s’il a, parfois un diplôme inférieur, quelqu’un qui a « bougé ».
Où en est la refondation de l’école au sein de l’académie ?
Pour l’heure, 12 communes y ont adhéré sur les 360 que compte l’île, c’est très faible. Pourtant, elles avaient le choix entre y adhérer dès cette année et percevoir une subvention et s’y soumettre, puisque ce sera obligatoire, en 2014, mais sans subvention. Il faut croire que les maires sont de mauvais gestionnaires. On devait avoir beaucoup mieux mais la fin des arrêtés Miot et la non signature de la charte des langues minoritaires ont freiné de nombreux élus. On est rentrés dans une sorte de « Pulitichella » qui n’a pas arrangé les choses.
Interview réalisée par Joseph Albertini