Un dossier du Canard Enchaîné sur la Corse
L’hebdomadaire satirique vient d’éditer un numéro spécial des dossiers du Canard Enchaîné entièrement consacré à la Corse. Malgré certains dérapages dont est coutumier ce journal, c’est instructif, bien ficelé et très équilibré pour ce qui concerne les articles sur la criminalité en Corse.
Vingt ans après…
Le dernier dossier du Canard sur la Corse datait de 1996. Il sortait alors que la guerre entre factions nationalistes faisait rage (tout en tirant sur sa fin). Entre ces deux numéros, la plupart des responsables nationalistes se sont rangés ou sont morts. Un préfet a été assassiné. Yvan Colonna a été arrêté tout comme les membres du commando qui a revendiqué l’exécution du haut fonctionnaire. Quatre procès ont eu lieu. Des centaines de personnes sont parties en prison. La Brise de Mer a quasiment disparu, consumée par sa propre violence. Jean-Jé Colonna est décédé dans un accident de la route. La plupart de ses compagnons ont péri de mort violente. La gauche est revenue au pouvoir après une très longue parenthèse de droite. Bref, le paysage corse s’est totalement transformé en apparence sans qu’en profondeur rien ne change. Le thème de la dérive mafieuse était déjà brandi en 1989 par Pierre Poggioli et l’ANC. Dans un tel contexte, le dossier du Canard ne pouvait s’en tenir au discours des années 90 qui mettait en exergue la violence nationaliste et minimisait celle du grand banditisme. Les journalistes du dossier devraient simplement éviter la langue corse ou la faire corriger par un locuteur. Car tout commence par une énorme faute… Corsa nostra au lieu de Corsica nostra et le reste est à l’avenant. Mais qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse. Et l’ivresse honteuse est bien au rendez-vous.
Les responsabilités de l’État
Le principe même des dossiers du Canard est le chaos organisé. Tout y est fourré en vrac avec un semblant d’ordre dans les rubriques. Il y a ici le pire (les propos ressassés de journaliste en journaliste sur tel ou tel de nos compatriotes et qui n’apportent rien) comme le meilleur (notamment les relations de la Brise de mer avec leurs condés et la dénonciation de ces amitiés crapuleuses). Cela n’exonère en rien les élus et les nationalistes qui, eux-mêmes fricotent avec les mêmes policiers. À titre d’exemple un promoteur immobilier du centre de l’île, ancien militant nationaliste, a passé plus de 700 appels à un brigadier-chef de la DCRI qui semblerait avoir été intéressé "aux affaires" en cours. Il est vrai qu’en vivant en Corse, on finit par ne plus s’étonner de rien et à ne plus croire en rien. Curieux paradoxe que cette terre dont la beauté époustoufle les plus blasés et qui secrète autant de fantasmes, autant de boue. Car rassemblés ainsi en quelques dizaines de pages, on comprend pourquoi la Corse effraie le continent et rend méfiant l’État. Que de drames vécus par si peu de gens ! La proximité est la matrice de tous ces morts, de ces attitudes qui défient le sens commun et deviennent la négation même de la vie.
Et malheureusement quelques glissements dans la vulgarité habituelle
Il serait malséant de n’accorder aux dossiers du Canard que des étoiles. Abordons donc les côtés négatifs outre ceux d’une langue corse affreusement mal maîtrisée. Il reste tout de même ce petit ton qui se veut drôle, ces petits calembours canardiens qui ne canardent personne et qui affadissent le propos. Aucun anticorsisme primaire mais quelques clichés qui traînent encore çà et là dont on ne sait pas trop s’ils ont été placés là par paresse ou pour donner l’impression au lecteur continental que le Canard n’a pas changé. De la redite aussi sur ce malheureux Alain Orsoni dont la vie semble se résumer à quelques paragraphes (toujours les mêmes) invariablement truffés des inévitables "le bel Alain", "le mouvement pour les Affaires" etc. Mais comment demander au Canard de changer sa nature. Ce dossier est déjà est bel effort sur lui-même. Les Corses ne portent plus seuls le chromosome criminel. Alleluhah !
GXC